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JOURNAL

comme une femme, mais j’emploie des… métaphores, des choses arrangées, de façon à ce que tout en disant, j’ai l’air de ne pas y toucher. C’est comme si, au lieu de dire : Mon tableau, je disais : la chose que j’ai faite. Jamais même avec Julian je n’ai employé Ies mots : amant, maîtresse, liaison ; de ces termes précis et habituels qui font que vous avez l’air de parler de, choses familières. On sait bien qu’on sait tout ça, mais on glisse ; si on ne savait rien, on ne serait pas drôle, car il y a des coins de conversations où un peu de malice et de raillerie sur le nommé Amour est indispensable, même très en passant. Avec R.-F. nous parlons surtout d’art, mais encore… Et cnfin cela fait toucher à la musique, à la littérature. Eh bien, je vois que Tony R.-F. prend ces… connaissances dans leur vrai sens, qu’il trouve cela très simple et que, si j’ai la franchise de ne pas faire la bête, il a le tact de ne jamais en dire autant que moi. Maintenant ajoutons que vous ne pouvez pas me juger dans ce journal où je suis sérieuse et sans fard ; quand je cause, je suis mieux ; il y a des airs, des poses de langage, des images, des choses neuves, trouvées, colorées, drôles…

Je suis bête et vaniteuse… Voilà que je crois que cet académicien me voit comme je me vois, et apprécie par conséquent toutes mes intentions, comme on dirait du jeu d’une actrice. On exagère ses mérites, cela est connu ; on s’en donne lors même qu’on en est totalement dépouvue, d’accord ; eh bien ! une fois cela admis, je vous dirai qu’il est bien agréable de se croire appréciée. Et puis avec R.-F. et Julian, je m’ouvre plus qu’avec les autres ; je me sens sur un bon terrain et la confiance me donne le charme que je n’aurais pas ailleurs.