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JOURNAL

grimace, ses mains remuent, il parle, ses yeux clignent

!

Samedi 19 aoiût. Je travaille dans le jardin qui me donne tout à fait le décor du parc Monceau ; je fais un gamin d’une douzaine d’années avec la blouse et le tablier, assis sur un banc, et lisant une feuille illustrée, son panier vide à côté de lui… On voit cela continuellement au parc et dans les rues ici. Lundi 21 août.

Je suis… à griffer tout le monde ! Je ne fais rien !  ! Et le temps passe ; depuis quatre jours je ne pose pas, j’ai commencé une étude dehors ; mais il pleut et le vent renverse tout : je ne fais rien. Je vous dis que je deviens folle devant ce néant ! On dit que ce tourment prouve ma valeur ! Non, hélas ! Gela prouve que je suis intelligente et que je vois clair…

Du reste, il y a trois ans que je peins. Mardi 22 août. — Je vais au marché du Temple accompagnée de Rosalie. Et j’en ai les yeux encore tout agrandis. C’est un quartier merveilleux ; j’ai achetó quelques vieilles machines pour l’atelier ; mais je n’ai fait que regarder les types. Oh ! la rue !  ! Mais, c’est-àdire que si on savait rendre ce que l’on yoit !… Hélas ! j’ai la faculté de voir et je suis encore éblouie de tout ce que j’ai vu. Les attitudes, les gestes, la vie prise sur le fait, la nature vraie, vivante. Oh ! surprendre la nature et savoir la rendre ! Voilà le grand problėme. Oh ! pourquoi n’ai-je pas ?… Cet animal de Tony R.-F. l’a bien dit : — Avec vos aspirations, Mademoiselle, je ferais tout au monde pour me rendre maitre du métier.