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JOURNAL

ces yeux confiants, innocents, vagues encore, et tout cela me suivait à petits pas, de leurs jambes encore indécises. Alors on les a fait asseoir. Et tout en jouant, sans avoir l’air de rien, les plus sages se sont mis à réciter, en me jetant de temps en temps un coup d’eil pour voir l’effet.

Sitôt rentrée, je fais une esquisse : Sinite parvulos venire ad me. Jésus et les enfants. Ah ! si on avait du talent !

II y a des jours où je me crois vraiment quelque chose, là. Écoutez, c’est impossible que cette fièvre, ces élans, cet amour de ce que je fais, ne soient pas destinés à aboutir à quelque chose de grand. Il est impossible de voir et de sentir la nature et la Lundi 28 août.

forme comme moi, sans arriver à…. J’ai dessiné la deuxième figure du tableau ; puis, comme Mme T…, étant arrivée pendant que je travaillais, lisait dans un coin, j’en ai fait une pochade. Il ne faut jamais rien arranger, aucun arrangement ne vaut la vérité ; le grand art consiste à saisir le bon moment et à faire ce qu’on voit… Mais, pénétrez-vous donc de cette vérité que, pour copier la nature juste, il faut avoir du génie et qu’un artiste ordinaire ne pourra jamais que la parodier. Un exécutant habile qui copie pour copier, fait une œuvre vulgaire, que le vulgaire appelle réaliste et dont il a souvent raison de faire fi. Il ne s’agit pas de prendre n’importe qui et de le peindre tel qu’on le voit ; le mouvement surpris, la pose ne se garde qu’à peu près, et en posant, ça se raidit

il faut que l’esprit soit frappé et garde l’impression

de l’instant où vous avez vu la chose. C’est là que l’on reconnait l’artiste.