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JOURNAL

veut m’éviter ce qu’il croit étre des désespoirs. Il m’a toujours répété que personne ne va plus vite, que je vais très bien, et il riait beaucoup de mes désirs d’aller plus vite que nature. Hier encore, il disait que je suis admirablement douée, que je n’ai qu’à continuer, et voilà que j’ai tout gâté par mes folles plaintes d’hier et par mon attitude consternée d’aujourd’hui ; je ne croirai plus aux encouragements, je me suis montrée trop malheureuse pour ne pas croire que c’est de la pitié. Pour mon tableau… je n’ai mėme pas osé en parler ; c’est comme si l’air devenait du plomb et me tirait la peau du visage vers la terre, et le feu aux bras… Puisque je me plains, puisque j’ai eu la sottise de laisser voir la grandeur de mes ambitions, ces deux hommes ne peuvent que me donner des conseils raisonnables, voyant que ce n’est ni un jeu, ni un passetemps pour moi, et que j’en suis désespérée. Alors comme deux honnêtes médecins, ils m’ordonnent les remèdes énergiques. De tout cela il appert que je ne suis pas en état de peindre une figure… un tableau, car une étude d’atelier passe toujours, tandis que… Il ne fallait pas se montrer affectée, comme si j’avais fondé des espérances folles sur le vieux… Je n’aurai plus la vérité, et puis… Breslau ? Breslau a deux ans et demi d’avance sur moi. Qu’est-ce que ca prouve ? Rien. Car il y a deux ans, elle était plus forte que moi aujourd’hui. Il y a six ans et demi qu’elle peint, et moi quatre ans juste. Je ne compte le dessin ni pour elle, ni noi. Done, si en 1884, je n’ai pas fait ce qu’elle fait, je lui suis inférieure.

Je n’ai pas besoin d’entendre cela pour le savoir. Et voilà un an que je subis le martyre. Des souffrances cruelles ; je vous assure ; perdre la bonne opinion qu’on avait de soi, confiance, courage, espoir. Ne travailier pour