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JOURNAL

blanche courte et extrêmement simple. Des souliers à l’enfant en chevreau vieux rouge. Les cheveux tordus et attachés assez bas au-dessus de la nuque. Je ne suis pas dans un de mes jours éclatants, mais pas trop à mon désavantage non plus. Comme il fait très beau, on va se promener sur la montagne d’où le panorama est magnifique ; cela ressemble à la campagne de Tolède. Ces jeunes gens causent comme des gens du monde et des militaires russes. Ils sont tout jeunes. L’atné n’a pas vingt-trois ans, je crois. Je suis très fatiguée d’avoir eu à sourire et à parler toute la journée, car papa les a gardés à dîner de force, bien qu’ils eussent assuré avoir une conférence importante avec l’intendant, qui leur fait faire le tour de leurs domaines, etc., etc. C’est bête cette habitude campagnarde de retenir les gens ; ça m’a un peu gênée.

Un incident. Leur cocher s’est grisé et c’est, paraitil, chaque fois comme cela ici ; alors sans avoir l’air de rien, le prince Basile est sorti et a assommé le pauvre homme à coups de poings et à coups de pieds, avec ses éperons. N’est-ce pas que ca fait froid dans le dos ? Ce garçon est horrible et son frère m’en parait sympathique.

Je ne crois pas que je fasse la conquête ni de l’un ni de l’autre. Je n’ai rien qui puisse leur plaire ; je suis de taille moyenne, de formes harmonieuses, d’un blond modéré ; j’ai des yeux gris, pas de grosse poitrine, pas de taille de guêpe… et au moral je crois que, sans trop d’orgueil, je leur suis assez supérieure pour qu’ils ne m’apprécient point.

Et comme femme du monde je ne suis pas plus charmante que beaucoup d’autres, dans les sphères qu’ils habitent.