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JOURNAL

rine, et je voudrais posséder cette sublime éloquence de la plume, afin qu’en me lisant on s’intéressåt à ma plate existence.

Ce serait curieux, si le récit de mes insuccès et de mon obscurité allait me donner ce que je cherche et chercherai encore. Mais je ne le saurai pas… et, d’ailleurs, pour qu’on me Jise et se débrouille dans ces milliers de pages, ne faut-il pas que je devienne quelqu’un ?… L’incertitude

et le découragement me font rester oisive, c’est-à-dire lisant toute la soirée, et j’en ai ensuite des remords qui me mettent le feu aux bras. Mais aussi je suis, ou toute seule ou avec ma famille, et c’est abrutissant. J’écris

en m’arrétant à chaque mot, car je n’en trouve pas pour peindre le trouble affreux, la prostration, la terreur que j’éprouve de ne me retenir à rien. Qu’est-il arrivé ? Rien. Alors quoi ? Je consentirais avec joie à ne vivre que dix ans, pour avoir du talent tout de suite et réaliser mes rėves…

Il y a deux ou trois jours, nous sommes allés à l’hôtel Drouot ; il y avait une exposition de bijoux ; maman, ma tante, Dina admiraient plusieurs parures ; moi j’en faisais fi, sauf d’une rangée de diamants énormes, prodigieux et dont j’ai eu un instant bien envie ; en avoir deux serait déjà joli, mais il ne fallait pas songer à un miracle pareil ; aussi me suis-je contentée de penser que peut-étre, un jour, en me mariant avec un millionnaire, je pourrais avoir des boucles d’oreilles de celte grandeur ou une agrafe, car des pierres de ce poids peuvent difficilement se suspendre aux oreilles. Voilà bien la première fois que je comprenais les bijoux. — Eh bien ! hier soir on me les a apportés, ces