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Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/427

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JOURNAL

Ah ! je vous l’avais bien dit que je devrais mourir. Dieu, ne pouvant me donner ce qui me rendrait la vie possible, s’en tire en me tuant. Après m’avoir accablée de misère, il me tue pour en finir. Je vous l’ai bien dit que je devrais mourir, ça ne pouvait pas durer ; cette soif de tout, ces aspirations colossales, ça ne pouvait pas durer. Je vous l’ai bien dit, il y a longtemps, il y a des années, à Nice, lorsque j’entrevoyais vaguement encore tout ce qu’il me fallait pour vivre. Mais les autres ont davantage et ne meurent pas ! Voyons !… Je ne le dirai à personne, sauf à Julian, qui a diné ici, et le soir, nous trouvant un instant seuls, je lui ai fait un signe de tête significatif, en indiquant de la main la gorge et la poitrine. Il ne veut pas croire ; je parais si forte. Il me rassure, me citant des amis sur le comple desquels les médecins s’étaient trompés… Là-dessus, il me demande ce que je pense du ciel ; j’avais dit qu’il me maltraitait, le ciel. – Ce que j’en pense ? Pas grand bien. — Il croit que je crois qu’il y a tout de même quelque chose. — Oui, c’est possible. Je lui lis l’Espoir en Dieu, de Musset, et il me répond par l’invocation ou les imprécations de Franck… : « Je veux vivre ! »

Moi aussi. Tiens, ça m’amuse cette position de condamnée, ou à peu près. C’est une pose, une émotion ; je contiens un mystère, la mort in’a touchée du doigt ; il y a là un certain charme, c’est nouveau d’abord. Et pouvoir pour tout de bon parler de ma mort, c’est intéressant et, je le répète, ça m’amuse. C’est dommage que l’on ne puisse sans inconvénients avoir d’autre public que mon confesseur Julian. Ça marche là-dedans !

Bon, voilà que je commence à exagérer ; non, mais Samedi 30 décembre.