Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/433

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
428
JOURNAL

de char antique qui fait songer au corps d’Hector ramené à Troie..

Après le passage de trois.camions de fleurs et de plusieurs gigantesques couronnes à pied, on pouvait croire que c’était assez ; mais ces trois camions s’oublient presque dans la suite, car jamais, au dire de tout le monde, on n’a vu un tel défilé de fleurs, de drapeaux en deuil et de couronnes. Moi j’avoue sans honte être complètement empoignée par cette magnificence. On est ému, énervé, excédé, il n’y a plus de mots pour dire toujours la même chose. Comment, encore ? Oui encore, encore et toujours, des couronnes de toutes les tailles, de toutes les couleurs, gigantesques, fabuleuses, comme on n’en a jamais vues, sur des brancards ; des bannières et des rubans, avec des inscriptions patriotiques, des franges d’or qui brillent à travers le crêpe. Des avalanches de fleurs, de perles, de franges, des parterres de roses se balançant au soleil, des montagnes de violettes et d’immortelles, et emcore un orphéon dont la marche funèbre jouée trop vite meurt en s’éloignant en notes tristes ; puis le bruit des pas sur le sable de la rue, que je voudrais comparer au bruit d’une pluie de larmes… Et les délégations portant des couronnés passent toujours ; les comités, les associations, Paris, la France, l’Europe, les industries, les arts, les écoles, la fleur de la civilisation et de l’intelligence. Et encore des tambours voilés de crêpe et le son admirable du clairon après de formidables silences. Les sauveteurs sont acclamés ainsi que les étudiants qui saluaient comme pour dire : « Il y en a peut-ètre un autre parmi nous » Puis encore une marche funèbre et encore des couronnes. Les plus belles sont saluées par des murmures d’admiration, L’Algérie est acclamée.