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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

papier de deux sous, un lit noir, deux secrétaires, des glaces rapiécées entre les fenêtres, et des rideaux de vieille et misérable laine rouge.-Un pauvre étudiant ne serait pas autrement logé. Get homme, qu’on a tant pleuré, n’a jamais été aimé ! Entouré de Juifs, d’actionnaires, de spéculateurs, d’exploiteurs, il n’avait personne qui l’aimait pour lui ou même pour sa gloire.

Mais il ne fallait pas le laisser une heure dans celte bolte malsaine et misérable ! Comment ! Mais les dangers d’un trajet d’une heure peuvent-ils se comparer aux dangers de rester sans air, dans cette horrible petite chambre ! Mais sur un matelas à bras d’homme, on l’aurait transporté sans la moindre secousse !

Ville-d’Avray ou pluto : les Jardies qu’on nous dépeignait dans les journaux comme une petite maison à la Barras ! Cet homme qu’on disait si occupé de ses aises et de son luxe ! Mais c’est une infamie ! Bastien-Lepage travaille au pied du lit. On n’a touché à rien, les draps froissés sur l’édredon qui figure le corps, les fleurs sur les draps. Dansles gravures on ne se rend pas compte des proportions de la pièce où le lit occupe une place énorme. La distance entre le lit et la fenêtre ne permet pas de se reculer du tout, aussi le lit est-il coupé dans le tableau, on n’en voit pas les pieds. Le tableau est la vérité méme. La tête rejetée en arrière, vue de trois quarts, a cette expression de néant après les souffrances, de sérénité encore vivante, et déjà d’au delà. On croit le voir en réalité. Le corps étendu, étálé, anéanti, dont la vie vient de partir, est saisissant.

C’est une émotion qui vous prend aux jambes et qui casse les reins.

M. B, — II, 37