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JOURNAL

Jeudi 22 février. est entièrement peinte.

Je joue du Chopin au piano et du Rossini sur la harpe, toute seule dans l’atelier. Il fait un beau clair

de lune ; la grande fenêtre laisse voir le ciel très clair,

bleu, magnifique. Je pense à mes saintes femmes et je suis si enthousiasmée de la façon dont se présente le tableau que j’ai une peur folle qu’un autre le fasse avant… Ça trouble le calme profond de la soirée. Il y a des jouissances en dehors de tout ; je suis très heureuse ce soir, je viens de lire Hamlet en anglais et je suis bercée par la musique d’Ambroise Thomas. II y a des drames éternellement émouvants, des types immortels… Ophélie… prend au cœur.

amour malheureux. Non, Ophélie, les fleurs et la mort… C’est beau !

— La tête du plus petit des garçons — Påle et blonde. — Ça — Ophélie ! On a envie d’éprouver un Il doity avoir des formules pour des réveries comme celle de ce soir, c’est-à-dire que toutes les poésies qui passent par la téte ne devraient pas se perdre, mais se fondre en une euvre… Est-ce que ce journal serait ?… Non, il est trop long. Ah ! si Dieu permettait que je fisse mon tableau, le vrai, le grand. Gette année, ce ne sera encore qu’une sorte d’étude… Inspirée de Bastien

?

Mon Dieu, oui ; sa peinture ressemble tellement à la nature que si on la copie fidèlement, on est condamné à lui ressembler.

Les têtes sont vivantes, ce n’est pas de la belle peinture comme Carolus, mais de la peinture ; en somme, c’est de la chair, c’est la peau humaine, ça vit, ça respire. Il n’y a ni adresse, ni touche : c’est la nature même, et c’est sublime.