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JOURNAL

gais ; je chante, je cause, je ris, et Bastien-Lepage revient comme un refrain. Ni sa personne, ni son physique, à peine son talent. Rien que le nom… pourtant je suis prise de peur… Si mon tableau allait lui ressembler ?  : Il a peint dernièrement un tas de garçons et de fillettes, — — Le célèbre Pas-mèche entre autres, qu’est-ce qu’on peut voir de plus beau ? Eh bien, moi, ce sont deux gamins qui marchent le Iong d’un trottoir en se tenant par la main : l’aîné a sept ans et regarde dans le vague, devant lui, une feuille entre les lèvres ; le petit regarde le public, une main dans la poche de son pantalon de gamin de quatre ans. Je ne sais que penser, car j’ai encore été contente de moi ce soir. C’est vraiment épouvantable ! Mais ce soir, ce soir, c’est une heure de joie immense. Quoi ? me direz-vous : Saint-Marceaux ou Bastien sont arrivés ?

Non, mais j’ai fait l’esquisse de ma —

statue. Vous lisez bien. Je veux, sitôt après le 45 mars, faire une statue. J’ai dans ma vie ébauché deux ensembles et deux ou trois bustes, tout cela abandonné à mi-chemin… parce que, travaillant seule et-sans direction, je ne puis m’attacher qu’à une chose qui m’intéresse, où je mets de ma vie, de mon âme, enfin quelque chose, — pas une simple étude d’atelier. Concevoir une figure et avoir le désir immense de l’exécuter, voilà.

Ce sera mauvais. Qu’est-ce que ça fait ? Je suis née sculpteur, j’aime la forme à l’adoration ; jamais la couleur ne peut donner autant de puissance que la forme, quoique je sois aussi folle de la couleur. Mais la forme ! Un beau mouvement, une belle attitude ; vous en faites le tour, la silhouette change en gardant la même signification.