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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Lundi 30 avril. J’ai le bonheur de causer avec Bastien-Lepage.

Il m’a expliqué son Ophélie. Diable ! Ce n’est pas un artiste de talent ordinaire. Il comprend cela d’une façon absolument générale ; ce qu’il m’en a dit est puisé dans les profondeurs les plus intimes de l’åme. C’est vraiment beau de comprendre ainsi l’art, de sentir comme il sent. Il ne la voit pas en folle seulement ; c’est une misérable d’amour, c’est l’immense désenchanternenit, l’amertume, le désespoir, la fin de tout,

de folie. C’est la figure la plus touchante, la plus triste, la plus désespérée… J’en suis folle. C’est beau, le génie ! Ce petit homme laid apparait plus beau et plus attrayant qu’un ange. On a envie de passer sa vie à l’entendre et à le suivre dans ses sublimes travaux. Enfin, il parle si simplement. Il a répondu à je ne sais quoi qu’on lui disait : « Je trouve tant de poésie dans la nature » avec un accent de sincérité si franche que j’en reste tout enveloppée d’un charme inexprimable. J’exagère, je sens que j’exagère. Enfin, Donc nous sortons ensemble et il y a avant de sortir un beau moment lorsque nous nous trouvons : Carolus, Tony R.-F., Jules Bastien, Émile Bastien, CarrierBelleuse, Edelfelt et Saint-Marceaux enfin. — la misérable d’amour, avec un trait il

y a de ça. Mardi 4er mai. — Et le Salon ? Eh bien, il est plus mauvais que d’habitude. Dagnan n’a pas exposé ; Sargent est médiocre ; Gervex ordinaire ; Henner est ravissant. C’est une femme nue qui lit. Éclairage artificiel et le tout baigné d’une sorte de vapeur, mais d’un ton si précieusement adorable qu’on se sent tout enveloppé de cette merveilleuse