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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

probablement morts, et C. emportera dans la tombe la douce conviction d’avoir été aimé d’une jeune et belle étrangère qui, éprise de ce chevalier, etc. Le sot ! Les autres le croiront aussi ; les sots ! Mais vous savez bien que non. Ce serait peut-être poétique de refuser des petits marquis par amour ; mais hélas, moi, je les refuse par raison,

Mardi 7 août. Je deviens toute rouge en pensant que, dans une semaine, il y aura cinq mois que j’ai fini le tableau du Salon. Qu’ai-je fait en cinq mois ? Rien encore. De la sculpture, il est vrai, mais ça ne compte pas. Les gamins ne sont pas finis. Je suis bien malheureuse… sérieusement. N. N. a dîné ici et m’a débité son catalogue du musée du Louvre en indiquant presque chaque tableau à sa place. Il a étudié ça pour entrer dans mes bonnes grâces. Il croit que c’est possible et que je puis l’épouser. Il faut qu’il me suppose aux abois pour se mettre cela en tête. C’est peut-être parce que je n’entends pas bien qu’il me croit déchue ?

Après son départ, j’ai failli m’évanouir de douleur. Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu pour qu’il me frappe toujours ? Qu’est-ce qu’il croit, ce Putiphar moderne ? S’il n’est pas convaincu que je n’aimerai jamais que l’art, que pense-t-il ? Pourtant un mariage d’amour, ! c’est introuvable !

Alors qu’est-ce qui gronde, qu’est-ce qui s’impatiente ? qu’est-ce qui fait que la vie ordinaire me semble misérable ? C’est une force réelle qui est en moi, c’est quelque chose que ma pauvre littérature ne sait pas dire. L’idée d’un tableau ou d’une statue me tient éveillée des nuits entières ; jamais la pensée d’un joli monsieur n’en a fait autant.