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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

bergers ; un enthousiasme saint et une adoration complète. Oui,

pendant deux ou trois heures, j’ai été amoureuse folle par admiration. C’est que vous ne pouvez pas comprendre ça.

Sentez-vous tout ce qu’il y mettra de mystère, de tendresse, de simplicité grandiose ? On peut se le figurer quand on connait son euvre et en établissant des filiations mystérieuses et fantastiques entre Jeanne d’Arc et le Soir au village, dont l’effet se reproduira en quelque sorte dans les bergers ; non, mais vous ne me trouvez pas ravissante de prendre feu pour des tableaux que je n’ai pas vus et qui n’existent pas encore ? Mettons que je suis ridicule pour la majorité, deux ou trois rêveurs seront avec moi et, au besoin, je m’en passerai.

Jeanne d’Arc ne fut pas comprise en France, on s’agenouilla devant en Amérique. Jeanne d’Arc est un chef-d’euvre de facture et de sentiment. Il fallait entendre Paris en parler. C’était une honte ! Mais enfin, est-ce possible que le succès aille aux Phèdre et aux Aurore ? Du reste… Est-ce que le public a aimé Millet, Rousseau, Corot ! Il les a aimés quand ils furent à la mode. Ce qui est honteux pour notre époque, c’est la mauvaise foi des gens éclairés, qui font semblant de croire que cet art n’est ni sérieux ni élevé, et qui encensent « ceux qui suivent les traditions des maîtres ». Est-il besoin d’insister et d’expliquer la stüpidité de ces raisonnements ? Qu’est-ce qui est donc l’art élevé, si ce n’est l’art qui, tout en peignant la chair, les cheveux, les vêtements, le arbres, en perfection, de façon à nous faire toucher pour ainsi dire, peint en même temps des âmes, des esprits, des exislences ? Jeanne