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JOURNAL

quatre bals par an ; je pouvais y aller souvent depuis deux ans, lorsque ça ne pouvait plus m’amuser. Et c’est la grande artiste qui regrette ça ? Ma foi oui… Et maintenant ? Maintenant, il y a autre chose que le bal, ce sont les réunions où l’on rencontre tout ce qui pense, écrit, peint, travaille, chante, tout ce qui constitue la vie d’êtres intelligents. Les plus philosophes et les plus raisonnables ne font pas fi de se rencontrer, une fois par semaine ou deux fois par mois, avec des gens qui sont la fleur de l’intelligence de Paris… Je donne ces explications parce que je re sais pas, je vais mourir. J’ai toujours élé malheureuse en tout ! A force de travail, j’arrive à avoir des relations dans le vrai monde, et encore c’est une humiliation.

On est trop malheureux pour ne pas espérer qu’il y a un Dieu qui peut vous prendre en pitié… ; mais si ce Dieu existait, laisserait-il faire ce qui se fait, et moi qu’ai-je fait pour être si malheureuse ? Ce n’est pas la lecture de la Bible qui peut faire croire. Ce n’est qu’un document historique où tout ce qui touche à Dieu est enfan tin. On ne peut croire qu’à un Dieu… abstrait, philosophique, un grand mystère, la terre, le ciel, tout. Pan.

Mais alors c’est un Dieu qui ne peut rien pour nous. Ce Dieu, on l’admire et on se l’imagine en regardant les étoiles et en pensant aux questions scientifiques spiritualistes, à la Renan… Mais un Dieu qui voit tout, qui s’occupe de tout, à qui on peut tout demander… Ce Dieu-là, je voudrais bien y croire. Mais s’il existait, laisserait-il faire ?

Mardi 11 mars. Il pleut. Ce n’est pas seulement