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JOURNAL

Oui, ce 3 est difficile à avaler. Zilhardt, Breslau ont des nurméros 2. Alors moi ? Il y a quarante jurés et j’ai eu, paraft-il, tant de voix pour 2 qu’on a cru que je l’avais. Supposons que j’aie eu 15 voix, et 25 contre. Ces 25… le jury est composé de quinze ou vingl hommes 3onnus et de vingt intrigants inconnus et faisant des peintures atroces. Ceci est de notoriété publique. Enfin, c’cst ainsi. Et c’est un coup formidable. Voyons, je suis pourtant lucide et je me vois ; non, il n’y a rien à dire… Il commence à me sembler que si mon tableau avait été très bon…

Ah ! jamais, jamais, jamais !  ! je n’ai touché le fond du désespoir comme aujourd’hui. Tant qu’on coule en bas, ce n’est pas encore la mort, mais toucher de ses pieds le fond noir et visqueux… se dire : ce n’est ni les circonstances, ni ma famille, ni le monde, c’est mon manque de talent. Ah ! c’est trop horrible, car il n’y a pas d’appel, pas de puissance humaine ni divine. Je ne vois plus la possibilité de travailler, tout semble fini. Alors voilà une sensation complète ? De l’embêtement à fond ? Oui. Eh bien ! d’après tes théories, cela doit être une jouissance. — Allrape ! Cela m’est égal ; je vais prendre du bromure, ça me fera dormir, et puis Dieu est grand et il m’arrive toujours quelque petite consolation après de profondes misères.

Et dire que je ne puis même pas raconter tout cela, échanger des idées, me consoler en causant… Rien, personne, personne !.. Bienheureux les simples d’esprit, bienheureux ceux qui croient en un bon Dieu auquel on peut en appeler ! En appeler de quoi, de ce que je n’ai pas de lalent ? Vous voyez bien. C’est le fond.Ce doit être une jouis- sance.