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JOURNAL

Ayant eu la fièvre toute la nuit, je suis d’une irritation furieuse, enfin, un état d’énervement à devenir fou. Ce n’est pas tout à fait la médaille, Jeudi 29 mai.

mais la nuit sans sommeil. Je suis trop malheureuse, je veux croire en Dieu. N’est-ce pas naturel de chercher quelque puissance miraculeuse, lorsque tout est misère et malheur et qu’il n’y a pas de salut ! On essaie de croire à une force audessus de tout, qu’on n’a qu’à invoquer… Cette opération ne présente ni fatigue, ni froissement, ni humiliation, ni ennui. On prie. Les médecins sont impuissants ; on demande un miracle, qui ne vient pas, mais pendant l’instant où on le demande on est consolée. C’est bien peu. Dieu ne peut être que juste et s’il est juste comment se fait-il ?.. Une seconde de réflexion et on n’y croit plus, hélas ! Pourquoi vivre ? A quoi bon traîner une telle misère ? La mort présente au moins cet avantage d’apprendre ce que fameuse autre vie. A moins qu’il n’y ait rien ; c’est ce qu’on sait, enfin, quand on meurt. c’est

que cette

Vėndredi 30 mai. — Je trouve que je suis bien bête de ne pas m’occuper sérieusement de la seule chose qui en vaille la peine. De la seule chose qui donne tous les bonheurs ; qui fasse oublier toutes les misères : l’amour, oui, l’amour, naturellement. Deux étres qui s’aiment ont l’illusion de leur perfection absolue, morale

physique, morale surtout. Un être qui vous aime est juste, bon, loyal, généreux et prêt à accomplir les actions héroïques avec simplicilé. Deux êtres qui s’aiment ont l’illusion d’un univers admirable et parfait, tel que l’ont rêvé des philosophes comme Aristote et moi ; et voilà, je crois, ce qui est la grande attraction de l’amour.