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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

ces aspirations folles vers les grandeurs que je me représentais d’abord comme des richesses, des titres ? Pourquoi dès que j’ai pu avoir deux pensées l’une à la suite d’une aulre, dès l’àge de quatre ans, le désir des choses glorieuses, grandes, confuses, mais immenses ? Tout ce que j’ai été dans ma tête d’enfant !… D’abord j’ai été danseuse, danseuse célèbre que Pétersbourg adore. Tous les soirs je me faisais mettre une robe décolletée, des fleurs sur la tête et je dansais dans le salon, très grave, pendant que toute la maison me regardait. Puisj’ai été la première chanteuse du monde. Je jouais de la harpe en chantant et on me portait en triomphe, je ne sais où ni qui. Puis j’électrisais les masses par ma parole. L’empereur de Russie m’épousait pour se maintenir sur son trône, je vivais en communion directe avec mon peuple, je lui adressais des discours expliquant ma politique, et souveraine et peuple s’attendrissaient aux larmes. Et j’ai aimé. L’homme aimé m’a trahie et, s’il ne m’a pas trahie, il est mort d’un accident quelconque, d’une chute de cheval pour la plupart du temps, juste à l’instant où je sentais que je l’aimais moins. Alors j’en aimais un autre, mais tout ça s’arrangeait toujours très bien, très moralement, puisqu’ils mouraient ou me trahissaient. Je me consolais des morts, mais quand j’étais trahie, c’était un dégoût et un désespoir sans fin et ma mort.

Enfin en tout, dans toutes les branches, de tous les sentiments et de toutes les satisfactions humaines j’ai rêvé plus grand que nature ; si ça ne se réalise pas il vaut mieux mourir.

Pourquoi mon tableau n’a-t-il pas eu de médaille ? La médaille !… C’est qu’ils ont dů penser (beaucoup d’entre eux) que je m’étais fait aider. Il est déjà arrivé