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JOURNAL

Oh ! pas encore ! Il ne faut pas me lâcher… Vendredi 19 septembre. savions que faire : partir ou rester, devant cet homme criant de douleur, puis nous souriant. S’en aller, c’est faire croire qu’il est très mal ; et rester comme à un spectacle pendant qu’il se tord de douleur…

— Il va plus mal. Nous ne Je suis affreuse, j’en parle sans délicatesse, il me semble qu’on pourrait trouver des mots plus…, c’està-dire moins… Pauvre enfant ! Mercredi 1er octobre. — Tant de dégoût et tant do tristesse.

À quoi bon écrire ? Ma tante est partie pour la Russie lundi ; elle arrivera à une heure du matin. Bastien-Lepage va de mal en pis. Et je ne peux pas travailer. Mon tableau ne sera pas fait. Voilà, voilà, voilà ! Il s’en va et il souffre beaucoup. Quand on est là, on se détache de la terre ; il plane déjà au-dessus de nous ; y a des jours où je me sens ainsi. On voit les gens, ils vous parlent, on répond, mais on n’est plus à la terre ; — une indifférence tranquille, pas douloureuse, un peu comme un réve à l’opium. Enfin, il meurt. Je n’y vais que par habitude ; c’est son ombre, moi aussi je suis ombre à demi ; à quoi bon ? Il. ne sent pas particulièrement ma présence, je suis inutile ; je n’ai pas le don ranimer ses yeux. Il est content de me voir. C’est tout. il

Oui, il meurt, et cela m’est égal ; je ne me rends pas compte, c’est quelque chose qui s’en va.