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1613. janvier.

perdray l’esprit : Bassompierre, en un mot, il faut que tu taches de me rammener Mr  de Guyse ; offre luy cent mille escus comptant que je luy feray donner. » « Madame, luy respondis-je, je vous y veux fidellement et utilement servir. » « Offrés luy encor, me dit elle, la lieutenance generale de Provence pour son frere le chevalier[1] ; offrés a sa sœur la reserve de l’abbaïe de Saint-Germain[2], et luy asseurés du retour de la Rochefoucaut. En fin, pourveu que je le retire de cette cabale, et qu’il me soit asseuré, je te donne la carte blanche. » Je luy dis qu’elle me garnissoit sy bien en partant, que je m’asseurois que je ne retournerois point vers elle sans avoir fait emplette.

Je luy parlay en suitte de rappeller Mr  d’Espernon. Elle me dit : « Je le souhaiterois avesques passion ; mais c’est un homme que j’ay offensé, et il ne pardonne jammais. » Je luy repartis : « Ouy bien quelquefois, Madame, a ses ennemis, mais non pas a ses maitres. » Elle me dit lors : « Sy Mr  d’Espernon se veut souvenir de ce que j’ay fait pour luy et pour ses enfans, il connestra que je luy ay esté bonne maitresse. Sy vous y pouviés voir quelque jour, vous me feriés un signalé service de le tenter. Faites la guerre a l’œil : je ne me confie de tout cecy qu’a vous. »

  1. Le duc de Guise était lui-même gouverneur de Provence : lors de son accommodement avec Henri IV, il avait reçu de lui ce gouvernement en échange de celui de Champagne.
  2. Le prince de Conti, après la mort du cardinal de Bourbon, son frère, avait été mis en possession des revenus de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés : la reine offrait à la princesse de Conti, en cas de veuvage, la survivance de ce bénéfice.