Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/41

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leurs misères, entamé la noblesse de notre cause !… Jamais la vérité ne déçoit. Nous sommes instruits par le passé que les pires erreurs des dirigeants ont été toujours de poser le boisseau sur la lumière !… Et la lumière finit toujours par faire sauter le boisseau.

Malheureusement, après trois ans bientôt de guerre et d’adaptation au malheur autant qu’à l’héroïsme éperdu, je crois bien que toute intervention, autre que celle du fusil et du canon, est sans avenir ! On est allé trop loin dans l’invraisemblable pour que l’expérience suprême ne soit pas tentée ! et les peuples y sont amèrement résolus ; ils continueront tête baissée dans l’orage du sang !… La victoire sans doute décidera. Prions pour notre sainte et immortelle patrie ! Prions pour le sort des armes, et pour tous les saccages exécrés qu’elles vont accumuler encore !… Prions, parce que notre victoire peut tout réparer ; elle est le salut de l’humanité en péril. Elle suscitera une réaction formidable et féconde ; — mais au prix de quelles ruines ! Comment ne pas frémir en y songeant ?

Ce n’est plus maintenant que la pitié et la raison peuvent s’imposer avec utilité. C’est au moment où se produisit la chute de l’orgueil allemand, après la Marne et l’Yser, quand les peuples étourdis se mirent à fourbir, chacun de leur côté, des armes démesurées, à entraîner dans leurs filets les autres peuples neutres et à préparer ainsi le cercueil des vieux régimes… c’est à ce moment-là qu’elles devaient intervenir ! Maintenant il ne nous reste plus qu’à invoquer platoniquement la déesse Raison, — et à écrire chacun selon son cœur, du plus humble au plus autorisé.

Et quand bien même l’effet de la pitié déchaînée n’eût pas été ce qu’on en aurait pu attendre, je ne