Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chapitre.) Tenez, écoutez et n’interrompez pas… C’est justement la plus belle page de ma vie. Elle vous renseignera sur mon authenticité et vous donnera ma généalogie. Écoutez. (Il lit cette fois, gravement.) « En face de la maison où je demeurais, il y avait un assez grand hôtel. À l’une des fenêtres du premier étage, j’avais souvent remarqué un petit bras blanc. Ce jour-là, je porte la main sur mon cœur puis à mes lèvres. La jalousie se soulève et une voix m’interpelle : « Êtes-vous noble ?» « Si je le suis ? Je suis un Manara. » « Où perche votre château ?» « Sachez que ma famille illustre compte Don Juan Chacon, seigneur de Carthagène, Don Diégo Carrero, alcade de Los Doncalès, Manuel Ponce de Léon, comte de Bayen, Pedro Hernandez y Aguilar de Cordova, duc de Terra Nova et marquis de Sambenito. » (À ce moment on entend une respiration oppressée. C’est Inès qui feint de fermer les deux yeux et de pencher la tête. Don Juan, bas, à Alonso installé près du feu de bois.) Ah ! la mâtine ! Elle fait semblant de s’être endormie… Continue, continue, ma chérie… j’arriverai bien à réveiller ton attention et sortirai avec esprit de cette ridicule position où je me suis mis ! (Sans s’arrêter, il substitue le livre des Mémoires de Don Juan à son propre manuscrit et se met à lire quelques phrases poétiques et ampoulées.) « Mon âme est un harem qui garde mille femmes. Je les entends murmurer, rire et pleurer ! Elles jouent avec des perles, des oiseaux et des poignards. Déception de l’amour, qui donc es-tu, toi que j’ai retrouvée partout ? Brume sur la féerie printanière, lame acérée sous la caresse… »

INÈS, (ne pouvant plus retenir un cri d’admiration.)

Oh ! ça, c’est beau ! C’est magnifique. Ça vous pénètre, ça vous soulève !