Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/313

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typhoïde qui tournait mal !… Je ne ressentis à nouveau ma répugnance que lorsque le bambin devint en âge de faire ses études… Je lui trouvais cet air vulgaire de certains enfants pauvres… Il respirait fortement en mangeant ses tartines, un peu comme une bête affamée, et il baissait la tête d’une façon que je préférais juger sournoise… À dater de ce moment, ce fut la rupture complète. La vie passa. À d’autres que ta mère j’aurais peut-être pu, au cours de ces vingt années, confier le secret et me décharger de son poids. Mais tu la connais. Tu imagines de quelles représailles, de quel harcèlement j’aurais payé un pareil aveu ! À quoi bon ! Pour quel résultat ? Son caractère est intraitable. Peut-être en son fond est-il plein de mansuétude, mais son goût de domination, sa ténacité domestique n’ont plus laissé de place apparente à d’autres sentiments… J’ai préféré céder, céder toujours par peur des criailleries inutiles. C’est l’histoire de bien des ménages. Dans la vie, la sécurité m’a suffi ! Par peur des responsabilités, j’ai abdiqué le soin de mon bien-être aux mains des autres. Ainsi, beaucoup d’hommes, qui eussent pu devenir des êtres volontaires, des caractères, se sont enfouis par lâcheté dans une médiocrité confortable, qui leur a tenu lieu d’idéal et de conscience ! Et cette fuite perpétuelle devant la lutte a peut-être pour cause initiale dans l’âme de ton père, Philippe, le premier devoir déserté, le premier reniement de soi-même !… Tout s’enchaîne. Voilà ce que je suis, mon enfant !

PHILIPPE, (après un silence embarrassé.)

Et… Pardonne-moi de n’avoir que cette interrogation aux lèvres… Lui… l’enfant… qu’est-il devenu ?