A Saint-Germain, dans une maison élégante, sur le niveau de cette terrasse qui découvre un si riant paysage, le salon d’une femme respectée de tous, et l’amie célèbre de Mme de Staël et d’un homme de génie parvenu au pouvoir, avait, le premier samedi de Juin, réuni plusieurs hommes politiques, comme on disait alors [et comme on dit encore], des ambassadeurs et des savants, M. Pozzo di Borgo, toujours en crédit près d’Alexandre, Capo d’Istria disgracié, mais près de se relever avec la Grèce renaissante, lord Stuart, diplomate habile, le moins officiel des hommes dans son libre langage, la prude et délicate lady Stuart, en contraste avec lui, quelques autres Anglais, un ministre de Toscane passionné pour les arts, l’illustre Humboldt, l’homme des études profondes autant que des nouvelles passagères [il y a donc des nouvelles durables], le plus français de ces étrangers, aimant la liberté autant que la science ; c’étaient aussi le comte de Lagarde, ambassadeur de France en Espagne avant la guerre, Abel de Rémusat, l’orientaliste ingénieux et sceptique, un autre lettré moins connu [ce doit être le modeste Villemain], et la jeune Delphine Gay avec sa mère.
Lorsque, après la conversation du dîner encore mêlée de quelques anecdotes des deux Chambres, on vint, à la hauteur de la terrasse, s’asseoir devant le vert tapis des cimes de la forêt et respirer la fraîche tiédeur d’une belle soirée de juin, toute la politique tomba, et il n’y eut plus d’empressement que pour prier Mlle Delphine Gay de dire quelques-uns de ses vers. Mais la belle jeune fille, souriant et s’excusant de n’avoir rien achevé de nouveau, récita seulement, avec la délicieuse mélodie de sa voix, cette stance d’un secrétaire d’ambassade [manière académique de dire Lamartine], bien jeune et bien grand poète, dit-elle :
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,
S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l’air embaumé du soir.
Lord Stuart prend la parole et dit que ce repos ne charme pas longtemps les poètes qui ont une fois touché aux affaires ; il espère bien que le Ministère durera et restera compact.
On devine une certaine sympathie du sieur Villemain pour lord Stuart, ce qui s’expliquera peut-être si l’on se reporte au dire de Chateaubriand qui prétend que ce lord