Aller au contenu

Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

unies (sic) aux grâces coquettes et charmantes de Marivaux et de Crébillon fils.

Voici quelques vers détachés d’une scène d’amour entre Phaon et la célèbre Lesbienne.


Oui, Phaon, je vous aime ; et, lorsque je vous vois,
Je perds le sentiment et la force et la voix.
Je souffre tout le jour le mal de votre absence,
Mal qui n’égale pas l’heur de votre présence ;
Si bien que vous trouvant, quand vous venez le soir,
La cause de ma joie et de mon désespoir,
Mon âme les compense, et sous les lauriers roses
Étouffe l’ellébore et les soucis moroses.


Maintenant Phaon, le timide pasteur, s’épouvante de cette passion qu’il est pourtant tout prêt à partager.


Cette belle a, parmi les genêts près d’éclore,
Respiré les ardeurs de notre tiède aurore.
En chatouillant l’orgueil d’un berger tel que moi,
Son amour n’est pas sans me donner de l’effroi.


À part la réserve, peut-être trop romantique, de ce dernier alexandrin, on ne peut méconnaître une grande fermeté de touche et une sobriété de forme qui rappellent heureusement la facture de Lucrèce. Mais, continue Phaon,


Comme de ses chansons chaudement amoureuses
Émane un fort parfum de riches tubéreuses,
Je redoute — moi dont le cœur est neuf encor.
De ne la pouvoir suivre en son sublime essor ;
Je baisse pavillon, — pauvre âme adolescente,
Au feu de cette amour terrible et menaçante.