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XX
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

sans doute encore, au moins pour partie, La Vie antérieure, L’Invitation au Voyage, et beaucoup de strophes ou de belles images, éparses dans les Petits Poëmes en prose comme dans les Fleurs du Mal, où palpite le vent du large, et se pleure la nostalgie de l’Au-delà. — Mais peut-être n’avait-il pas encore pris conscience nettement, lui-même, des trésors amassés sur sa route, ou était-il simplement de ceux qui ne se plaisent nulle part : Anywhere out of tbe world ?

Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’il rentrait à Paris plus révolté que jamais contre la discipline familiale. Si le général Aupick s’était flatté que ce voyage formerait la jeunesse de son beau-fils, il dut déchanter. Un court essai de reprise de la vie commune n’aboutit qu’à de nouveaux éclats. Charles était majeur ; il réclama l’héritage paternel, une centaine de mille francs, et fit claquer la porte.

Libre alors, il se composa l’existence facile, élégante, dégagée de préjugés et d’entraves qu’il ambitionnait depuis longtemps. Devançant le goût des esthètes modernes, il eut, à l’île Saint-Louis, dans le somptueux hôtel Pimodan, où habitait entre autres le peintre Boissard, qui devait lui faire connaître Gautier et l’initier aux voluptés du haschisch, un vaste cabinet tapissé de noir et de rouge, et meublé de bahuts « polis par les ans », dont la fenêtre mansardée ne laissait voir que le ciel et dont les tapis fleuraient le musc. Il s’essaya aux amours faciles avec Sarah la Louchette :

Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive…

tenta de plaire à la

Blanche fille aux cheveux roux,

établit Jeanne Duval — nous reparlerons d’elle tout à l’heure — dans un coquet appartement du quartier Saint-