Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/526

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CHARLES BAUDELAIRE

cœur (ce qui est d’ailleurs assez logique, puisque la passion s’exprime toujours mal) ; enfin, qu’une poésie profonde, mais compliquée, amère, froidement diabolique (en apparence), était moins faite que toute autre pour la frivolité éternelle !

Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres, que dans ce livre atroce j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands dieux que c’est un livre d'art pur, de singerie, de jonglerie, et je mentirai comme un arracheur de dents.

Et à propos ! Qu’est-ce que c’est donc que la poésie fantaisiste ? Je ne pourrai jamais le deviner. Je défie D de l’expliquer, comme je défie

un journaliste ou un professeur quelconque d’ex- pliquer le sens d’un seul des mots dont il se sert. — Il y a donc une poésie fantaisiste, et une poésie qui ne l’est pas. Qu’est-ce que c’est que celle-là qui n’est pas basée sur la fantaisie de l’artiste, du poète, c’est à dire sur sa manière de sentir ?

A propos du sentiment, du cœur, et autres salo- peries féminines, souvenez-vous du mot profond de Leconte de Lisle : Tous les élégiaques sont des canailles !

Assez, n’est-ce pas ? Et vous me pardonnez ma diatribe. Ne me privez pas du seul ami à qui je puisse dire des injures ! Mais comprend-on une pareille idée ? aller à une conférence de D !