Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/57

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leurs, servaient de contraste à des peintures idéales et suaves. Baudelaire se laissa un peu aller à ces avances, visita les ateliers réalistes, et dut faire sur Courbet, le maître peintre d’Ornans, un article qui ne parut jamais. Cependant, à l’un de ces derniers Salons, Fantin, dans ce cadre bizarre où il réunit autour du médaillon d’Eugène Delacroix, comme les comparses d’une apothéose, le cénacle des peintres et des écrivains dits réalistes, a placé Charles Baudelaire en un coin, avec son regard sérieux et son sourire ironique. Certes, Baudelaire, comme admirateur de Delacroix, avait bien le droit d’être là. Mais faisait-il intellectuellement et sympathiquement partie de cette bande, dont les tendances ne devaient pas s’accorder avec ses goûts aristocratiques et son aspiration vers le beau ? Chez lui, nous l’avons déjà spécifié, l’emploi du laid trivial et naturel n’était qu’une sorte de manifestation et de protestation d’horreur, et nous doutons que la Vénus capitonnée de Courbet, effroyable Maritorne callipyge, ait eu jamais beaucoup de charmes pour lui, l’amateur des élégances exquises, des maniérismes raffinés et des coquetteries savantes. Non qu’il ne fût pas capable d’admirer la beauté grandiose ; celui qui a écrit la Géante devait aimer l’Aurore et la Nuit, ces magnifiques colosses féminins que Michel-Ange couche sur la volute du tombeau des Médicis avec des contournements si superbes. Il avait, en outre, une philosophie et une métaphysique qui ne pouvaient manquer de l’éloigner de cette école, à laquelle il ne faut sous aucun prétexte le rattacher.

Loin de se plaire au réel, il cherchait curieusement l’étrange, et, s’il rencontrait quelque type singulier, original, il le suivait, l’étudiait, tâchait de trouver le bout de fil de la bobine et de le dérouler jusqu’au bout. Ainsi il s’était épris de Guys, un personnage mystérieux, qui avait pour