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ARÉTIN.

traducteur. Il est vrai que cette différence est énorme. Bien que les versions qu’il nous a données ne soient pas en effet d’une fort exquise latinité, on peut dire néanmoins qu’en comparaison de ses ouvrages de jurisprudence, elle est plus que cicéronienne. Quand il aurait voulu faire ce qu’ont fait de certains auteurs qui, pour se divertir, ont écrit en style macaronique, il n’aurait pas mieux réussi : Sunt etiam multi testes, dit-il, conseil LXXXIIIe., qui viderunt aquam benè ire ad mollendinum, et ipsum benè molere, et stechariam lignaminis benè in puncto. Et conseil XIII : Probatur per duos testes nostros quod ista mulier gessit portaturam capitis secundum babitum nuptarum à sex annis citra. Tout le livre est plein de ces fleurettes. L’orthographe des mots tirés du grec y est étrangement défigurée. On y trouve Economus, emologatio, cyrothecæ, Grisogonus, emphitheota. J’ai insinué la raison que ce jurisconsulte avait eue d’en user de la sorte, qui est que ses confrères n’écrivaient, ni ne s’exprimaient pas autrement. Son langage, s’il avait été plus correct, n’aurait pas été entendu des gens du métier. François Arétin ou Accolti, comme il vous plaira, et pu mieux parler ; mais il aimait l’argent, et s’il se fût avisé d’employer un style de Papinien, il se serait morfondu dans son étude, on l’aurait généralement abandonné. La même barbarie régnait alors parmi les théologiens et les médecins. Ceux d’entre eux qui voulurent les premiers introduire la politesse, n’étaient, disait-on, ni théologiens, ni médecins : ils n’étaient que grammairiens. On n’était pas encore bien revenu de cette prévention, du temps de Louis Vivès. Ses paroles méritent d’être rapportées : Quæ Lyranus et Hugo scribunt, (dit-il, livre Ier. de Causis corrupt. Art.) theologica est ; quæ Erasmus, grammatica. Idem de Hieronymo, Ambrosio, Augustino, Hilario dicturi, nisi nomer obstaret, tametsi hîc etiam nescio quid mussant. Quod si Joannes Picus Apologiam suam corrupto illo non scripsisset sermone, haud quaquàm haberetur theologus, sed grammaticus. Alciatus, Zasius, Cantiuncula, grammatici sunt, cùm de jure disputant : Accursius est jurisconsultus, vel cùm interpretatur, que, id est, et : ait, id est, dixi : seu, id est, aut. Ça donc été, monsieur, une espèce de nécessité à François Arétin, jurisconsulte, de s’accommoder à l’usage de son temps ; et je pense que ces réflexions jointes aux précédentes, suffiront pour vous persuader qu’il ne diffère de l’humaniste que par l’élocution.

(D) On sera bien aise de savoir la ruse dont il se servit pour apprendre à ses disciples combien il importe de passer pour un honnête homme. ] Il se servit de ce stratagème, après avoir vu que les fréquentes exhortations qu’il leur faisait à conserver une bonne réputation ne servaient de rien : Ubi (Ferrariæ) studiosos ad famam boni nominis conservandam sæpè hortatus cùm nihil proficeret ; ridiculum commentum excogitavit, ut quam vim maximam habeat existimatio, ostenderet [1]. Les bouchers de Ferrare laissaient les viandes à la boucherie toute la nuit. Il y alla avec son valet, avant le jour, et, ayant rompu leurs caisses, il enleva toutes les viandes. Deux écoliers, qui passaient pour plus pétulans que tous les autres, furent accusés de cette action, et emprisonnés. L’Arétin fut trouver le duc Hercule, et lui demanda leur liberté, et se chargea de toute la faute. Mais plus il soutenait fermement qu’il l’avait faite, plus croyait-on que les prisonniers en étaient coupables ; car personne n’osait soupçonner d’une telle chose un professeur dont la gravité et la sagesse étaient si connues. L’affaire ayant été enfin terminée, il déclara quel avait été son but. C’était de montrer le poids et l’autorité d’une bonne renommée : Quò constantiùs se facti autorem fatebatur, eò magis qui in vinculis erant rei credebantur, cùm ob viri gravitatem nemo id de eo suspicari auderet. Re demùm compositâ, id se Aretinus ad demonstrandam hominis bonæ opinionis auctoritatem fecisse dixit [2]. Personne n’ignore que ceux qui passent pour de grands menteurs ne sont point crus, lors même qu’ils disent la vérité. Il arrive tout le contraire à ceux qui passent pour fort ingénus : on les croit lors même qu’ils mentent. Voyez dans Valère

  1. Panzirol., de Claris Legum Interpret., pag. 250.
  2. Id., ibid., pag. 251.