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ARIMANIUS.

renouvelèrent l’un des dogmes les plus fondamentaux ; savoir, qu’il y a deux premiers principes, l’un du bien, l’autre du mal. Les Perses nommaient Oromasdes la divinité qu’ils reconnaissaient pour le principe de tout bien, et pour l’auteur du premier état où les choses furent produites ; et ils appelaient Arimanius la divinité qu’ils reconnaissaient pour le principe du mal, et pour l’auteur de la corruption dans laquelle la première nature est tombée. Ils disaient qu’Oromasdes, ayant produit les bons esprits et les étoiles, enferma celles-ci dans un œuf (A) ; et qu’Arimamius produisit les mauvais génies, qui cassèrent cet œuf, d’où sortit la confusion et le mélange du bien et du mal. Ils ajoutaient qu’enfin, après plusieurs combats où la victoire serait tantôt d’un côté tantôt de l’autre, Oromasdes vaincrait pleinement Arimanius, et le perdrait sans ressource ; ce qui serait suivi d’un grand bonheur pour le genre humain, et d’un changement très-commode, qui ferait que le corps de l’homme serait transparent, et qu’il se conserverait sans nourriture [a].

Ce que je viens de dire a été tiré d’un auteur qui l’avait pris de Plutarque, dont je rapporterai ailleurs le passage tout entier [b]. On remarque que le roi de Perse, voyant Thémistocle se réfugier auprès de lui, pria Arimanius d’inspirer toujours de telles pensées à ses ennemis, qu’ils exilassent leurs plus braves gens [c]. C’est une preuve, que les Perses considéraient Arimanius comme une divinité qui ne se plaisait qu’à faire du mal (B). On entendait, sans doute, la même divinité, lorsque, sur les plaintes que fit Darius contre le démon de la Perse, en apprenant que la reine son épouse était morte prisonnière d’Alexandre, on lui répondit : à l’égard des honneurs de la sépulture, etc., vous n’avez aucun sujet d’accuser le mauvais génie de la nation [d]. Il n’a rien manqué de leur première fortune à votre femme, à votre mère, et à vos enfans, que de voir votre lumière, que le seigneur Oromasdes remettra dans son éclat [e]. Nous voyons dans ces paroles l’opposition que faisaient les Perses entre Oromasdes et Arimanius.

  1. Tiré du Telluris Theoria sacra du docteur T. Burnet, liv. II, chap. X, pag. 289, 290 : il cite Plutarch., de Iside et Osiride.
  2. Dans la remarque (C) de l’article Manichéens, et dans la remarque (E) de l’article Zoroastre,
  3. Plutarch., in Themist., pag. 126.
  4. Τὸν πονηρὸν δαίμονα. Plutarch., in Alexandro, pag. 682.
  5. Idem, ibid.

(A) Oromasdes... enferma les étoiles dans un œuf. ] J’ai averti en un autre endroit [1], que je toucherais ici quelque chose touchant l’œuf qui, selon l’ancienne théologie des païens, avait servi à la production des êtres, lorsque le chaos fut débrouillé. Je dis donc que, suivant les Phéniciens, l’air obscur et le chaos avaient été le principe de toutes choses. Cet air obscur est sans doute la même chose que d’autres appellent la nuit, et à laquelle ils attribuent la génération d’un œuf, duquel l’amour et le genre humain sortirent. Τίκτει πρώτιςον νὺξ ἡ μελανόπτερος ὠόν [2]. On peut ingénieusement expliquer cela de la Terre,

  1. Ci-dessus, dans la remarque (A) de l’article Adam.
  2. Aristophanes, apud T. Burnetium, Tell. Theor. sacr., lib. II, cap. VII, pag. 243.