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ANAXAGORAS.

(I) On conte qu’Anaxagoras avait prédit qu’une pierre... tomberait du corps du soleil. ] Diogène Laërce rapporte cela [1]. Plutarque a parlé de ce prodige ; voici ce qu’il dit : « Il y en a aussi qui disent que la cheute d’une pierre fut un présage qui pronostiquoit ceste grande desfaite [2]. Car il tomba du ciel, environ ce temps-là, ainsi que plusieurs le tiennent, une fort grande et grosse pierre, en la coste qu’on appelle la rivière de la Chèvre, laquelle pierre se monstre encore aujourd’hui tenue en grand’révérence par les habitans du pays de la Cherronèse. Et dit-on que le philosophe Anaxagoras avoit prédit que l’un des corps attachés à la voûte du ciel en seroit arraché, et tomberoit en terre par un glissement et un esbranlement qui devoit avenir : car il disoit que les astres n’estoyent pas au propre lieu où ils avoyent esté nez, atendu que c’estoyent corps pesans et de nature de pierre ; mais qu’ils reluisoyent par l’objection et réflexion du feu élémentaire, et avoyent esté tirez là sus à force, là où ils estoyent retenus par l’impétuosité et violence du mouvement circulaire du ciel, comme au commencement du monde ils y avoyent esté arrestez, et empeschez de retomber ici-bas, lorsque se fit la séparation des corps froids et pesans d’avec les autres substances de l’univers [3] ». J’ai rapporté tout ce passage afin que l’on vît en même temps la tradition de ce prodige et la singularité du dogme d’Anaxagoras. Les paroles de Pline ne méritent pas moins d’être citées : Celebrant Græci, dit-il [4], Anaxagoram Clazomenium, Olympiadis septuagesimæ octavæ secundo anno, prædixisse cœlestium litterarum scientiâ, quibus diebus saxum casurum esset è sole. Idque factum interdiù in Thraciæ parte ad Ægos flumen. Qui lapis etiam nunc ostenditur, magnitudine vehis, colore adusto, comete quoque illis noctibus flagrante. Quod si quis prædictum credat, simul fateatur necesse est, majoris miraculi divinitater : Anaxagoræ fuisse : solvique rerum naturæ intellectum, et confundi omnia, si aut ipse sol lapis esse, aut unquàm lapidem in eo fuisse credatur : decidere tamen crebrò, non erit dubium. In Abydi gymnasio ex eâ causâ colitur hodièque, modicus quidem, sed quem in medio terrarum casurum idem Anaxagoras prædixisse narratur. Colitur et Cassandriæ, quæ Potidæa vocitata est, ob id deducta. Vous voyez là qu’Anaxagoras avait prédit plus d’une fois ces chutes de pierre, et que le culte de ces pierres se multiplia à proportion. Notez qu’Ammien Marcellin et Tzetzès se sont servis du nombre pluriel touchant le prodige de la rivière de la Chèvre. Ils prétendent qu’Anaxagoras prédit qu’il tomberait des pierres du ciel [5]. Philostrate s’est exprimé de la même sorte ; voici un peu au long ce qu’il a dit : je n’en retrancherai rien ; car ce sera une matière de critique : Injustement doncques auroit-on blasmé Apollonius d’une telle impiété et erreur, pour avoir préveu plusieurs choses, et en avoir prédict d’autres : de la mesme sorte que Socrates en auroit esté instruit par les esprits de tout plein devant qu’elles advinssent. Anaxagoras aussi : car qui est celui qui ignore, que, comme une fois estant allé aux jeux olympiques vestu d’un gaban, pour prédire qu’il pleuveroit [6], encore que le jour fust si clair et serein, qu’il n’y avoit aucune apparence de pluye, il ne tarda guères toutesfois qu’il pleut comme à seaux : une autre fois, ayant prédict que dans peu de jours une maison devoit fondre, bien tost après elle tomba. Après, ayant encore adverti que le jour en plein midy tout à un instant deviendroit nuict, et s’obscurciroit de ténèbres : et une autrefois, que des grosses pierres tomberoient du ciel dans la rivière d’Egospotamos, il arriva ainsi. Advouans doncques que ces choses-là et autres semblables préveues d’Anaxagoras fussent un indice d’un très-grand sçavoir seulement, comment les peut-on imputer à Apollonius pour un art

  1. Diog. Laërt., lib. II, num. 10.
  2. C’est la ruine de la flotte des Athéniens par Lysander.
  3. Plutarch. in Lysandro, pag. 439. Je me sers de la Version d’Amiot.
  4. Plinius, lib. II, cap. LVIII.
  5. Ammian. Marcell., lib. XXII, cap. VIII, pag. 308. Tzetzes, chil. II, vs. 892.
  6. Diog. Laërce, liv. II, num. 10. Elien. de Animal., chap. VIII, et Suidas, font aussi mention de cela.