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BRUNUS.

fit des livres où il soutenait qu’il y avait un très-grand nombre de mondes, tous éternels ; qu’il n’y avait que les juifs qui descendissent d’Adam et d’Ève, et que les autres hommes sortaient d’une race que Dieu avait faite long-temps auparavant ; que tous les miracles de Moïse étaient un effet de la magie, et qu’ils ne furent supérieurs à ceux des autres magiciens, que parce qu’il avait fait plus de progrès qu’eux dans sa magie ; qu’il avait forgé lui-même les lois qu’il donna aux Israélites ; que l’Écriture Sainte n’est qu’un songe ; etc. Jean Henri Ursin, qui m’apprend cela, ajoute que Brunus, pour ces impiétés, fut brûlé à Rome, au champ de Flore, le 9 de février 1600[1]. Il rapporte toutes ces choses sur la foi de Scioppius, qui en avait fait la relation dans une certaine lettre. Le sieur Nicodème, dans ses Additions à la Bibliothéque de Naples, dit qu’on ne sait point certainement si tout ce que Jean-Henri Ursin débite est véritable. Voilà qui est singulier. On ne sait point au bout de quatre-vingts ans, si un jacobin [2] a été brûlé à Rome, en place publique, pour ses blasphèmes. Il n’y a pas loin de l’incertitude à la fausseté dans des faits de cette nature.

(C) Nous donnerons le titre de quelques-uns [* 1] de ses ouvrages. ] Il donna dans les idées de Raimond Lulle, et les raffina : il inventa diverses méthodes de mémoire artificielle. Tout cela, dit-on, marque beaucoup de génie ; mais on y trouve tant d’obscurités, qu’on ne s’en saurait servir. Voyez le Polyhistor de M. Morhof[3]. Quoi qu’il en soit, voici des titres. De Specierum scrutinio et lampade combinatoriâ Raimundi Lulli, à Prague en 1588, in-8°. Ce livre fut mis dans l’index de l’inquisition[4] : il a été imprimé plusieurs fois avec le traité du même auteur, de Progressu logicæ venationis, parmi les œuvres de Lulle. Jordanus Brunus de Monade, Numero et Figurâ : item de innumerabili, immenso, etc. à Francfort, en 1591, in-8°. Jordani Bruni Nolani de imaginum, signorum, et idearum compositione, ad omnia inventionum, dispositionum, et memoriæ genera, libri tres[5], à Francfort, en 1591, in-8°. De umbris idearum, à Paris, en 1582. Cantus Circæus ad memoriæ praxim ordinatus, quam ipse judiciariam appellat, à Paris, en 1583. De compendiosâ architecturâ et complemento artis Lullii, là même, en 1580[6]. Artificium perorandi. Alstedius le publia à Francfort, en 1682[7]. M. Voet, à la page 510 du 1er, volume de ses Disputes de théologie, a cité Jordanus Brunus de Hæreticis ; mais il fallait dire Conradus Brunus.

(D) ...... et quelque chose de plus touchant quatre ou cinq de ses autres livres. ] Je n’ai vu aucun des livres de notre Brunus mentionnés dans les remarques précédentes, et j’en ai vu quelques autres dont les titres ne paraissent point dans les catalogues que j’ai consultés[8]. J’ai vu l’ouvrage qui a pour titre Giordano Bruno Nolano de la Causa, principio, ed uno. Il fut imprimé à Venise, l’an 1584, in-12, et dédié par l’auteur à Michel de Castelnau, seigneur de Mauvissière, ambassadeur de France auprès de la reine Élisabeth. L’épitre dédicatoire nous apprend que ce seigneur protégeait Giordano Bruno contre la malice de ses ennemis. Mi riduco à mente come..... mi siete sufficiente et saldo difensore ne gl’ injusti oltraggi ch’ io patisco. L’auteur prétend que s’il n’eût pas eu une fermeté héroïque, il se fût abandonné au désespoir ; car sa mauvaise fortune était compliquée de mille disgrâces : il n’y manquait que les dédains malicieux d’une maîtresse. Dove bisognava che fusse un animo veramente heroico per non dismetter le braccia, disperarsi, et darsi vinto a si rapido torrente di criminali imposture, con quali a tutta possa

  1. * La liste des autres se trouve dans les articles de Niceron et de Chaufepié.
  1. Joh. Henr. Ursinus, in præfatione Tractatûs de Zoroastre.
  2. Ursin dit que Brunus était professione Dominicanus.
  3. Pag. 365 et sequent.
  4. Le Toppi, Bibliotheca Napoletana, pag. 151.
  5. Nicodemo, Addizioni alla Biblioth. Napolet., pag. 90.
  6. Du Verdier, in Supplem. Bibl. Gesn., pag. 33.
  7. Morhof., Polyb., pag. 355.
  8. Je parle ainsi autant qu’il m’en peut souvenir, et j’excepte même la Cena de le Cineri ; car c’est un livre dont Du Verdier, Supplem. Bibliothec. Gesner., pag. 33, a donné le titre.