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DAVID (variantes).

parti, et tuait sans miséricorde hommes et femmes : il ne laissait en vie que les bestiaux ; c’était le seul butin avec quoi il s’en revenait : il avait peur que les prisonniers ne découvrissent tout le mystère au roi Akis ; c’est pourquoi il n’en amenait aucun ; il faisait faire main-basse sur l’un et sur l’autre sexe. Le mystère qu’il ne voulait point que l’on révélât est que ces ravages se faisaient, non pas sur les terres des Israélites, comme il le faisait accroire au roi de Geth, mais sur les terres des anciens peuples de la Palestine (10). Franchement, cette conduite était fort mauvaise : pour couvrir une faute, on en commettait une plus grande. On trompait un roi à qui l’on avait de l’obligation, et on exerçait une cruauté prodigieuse afin de cacher cette tromperie. Si l’on avait demandé à David : De quelle autorité fais-tu ces choses ? qu’eût-il pu répondre ? Un particulier comme lui, un fugitif qui trouve un asile sur les terres d’un prince voisin, est-il en droit de commettre des hostilités pour son propre compte, et sans commission émanée du souverain du pays ? David avait-il une telle commission ? Ne s’éloignait-il pas, au contraire, et des intentions et des intérêts du roi de Gath ? Il est sûr que si aujourd’hui un particulier, de quelque naissance qu’il fût, se conduisait comme fit David en cette rencontre, il ne pourrait pas éviter qu’on ne lui donnât des noms très-peu honorables. Je sais bien que les plus illustres héros, et les plus fameux prophètes du Vieux Testament, ont quelquefois approuvé que l’on passât au fil de l’épée tout ce que l’on trouverait en vie, et ainsi je me garderais bien d’appeler inhumanité ce que fit David, s’il avait été autorisé des ordres de quelque prophète, ou si Dieu, par inspiration, lui eût commandé à lui-même d’en user ainsi : mais il paraît manifestement, par le silence de l’Écriture, qu’il fit tout cela de son propre mouvement.

Je dirai un mot de ce qu’il avait résolu de faire à Nabal. Pendant que cet homme, qui était fort riche, faisait tondre ses brebis, David lui fit demander fort honnêtement quelque gratification : ses messagers ne manquèrent pas de dire que jamais les bergers de Nabal n’avaient souffert du dommage de la part des gens de David. Comme Nabal était fort brutal, il demanda d’une façon incivile qui était David, et lui reprocha d’avoir secoué le joug de son maître : en un mot, il déclara qu’il n’était pas assez imprudent pour donner à des inconnus, et à des gens sans aveu, ce qu’il avait apprêté pour ses domestiques. David, outré de cette réponse, fait prendre les armes à quatre cents de ses soldats, et se met à leur tête, bien résolu de ne laisser âme qui vive sans la passer au fil de l’épée. Il s’y engage même par serment ; et s’il n’exécute point cette sanglante résolution, c’est qu’Abigail va l’apaiser par ses beaux discours et par ses présens (11). Abigail était la femme de Nabal, et une personne de grand mérite, belle, spirituelle, et qui plut si fort à David qu’il l’épousa dès qu’elle fut veuve (12). Parlons de bonne foi : n’est-il pas incontestable que David allait faire une action très-criminelle ? Il n’avait nul droit sur les biens de Nabal, ni aucun titre pour le punir de son incivilité. Il errait par le monde avec une troupe de bons amis : il pouvait bien demander aux gens aisés quelque gratification ; mais c’était à lui de prendre patience s’ils la refusaient, et il ne pouvait les y contraindre par des exécutions militaires, sans replonger le monde dans l’affreuse confusion de l’état qu’on appelle de nature, où l’on ne reconnaissait que la seule loi du plus fort. Que dirions-nous aujourd’hui d’un prince du sang de France qui, étant disgracié à la cour, se sauverait où il pourrait avec les amis qui voudraient bien être les compagnons de sa fortune ? Quel jugement, dis-je, en ferait-on, s’il s’avisait d’établir des contributions dans les pays où il se cantonnerait, et de passer tout au fil de l’épée dans les paroisses qui refuseraient de payer ses taxes ? Que dirions-nous si ce prince équipait quelques vaisseaux, et courait les mers pour s’emparer de tous les navires marchands qu’il pourrait prendre ? En bonne foi, David était-il plus autorisé pour exiger des contributions de Nabal, et pour massacrer tous les hom-