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DAVID. (variantes)

par des présens, David serait devenu roi de tout Israël. Qu’arriva-t-il après que la fidélité d’Abner eut conservé onze tribus tout entières à Izbozet ? La même chose qui serait arrivée entre deux rois infidèles et très-ambitieux. David et Izbozet se firent incessamment la guerre [1], pour savoir lequel des deux gagnerait la portion de l’autre, afin de jouir de tout le royaume sans partage. Ce que je m’en vais dire est bien plus mauvais. Abner, mécontent du roi son maître, songe à le dépouiller de ses états, et à les livrer à David : il fait savoir à David ses intentions ; il va le trouver lui-même pour concerter avec lui les moyens de faire ce coup. David prête l’oreille à ce perfide, et veut bien gagner un royaume par des intrigues de cette manière [2]. Peut-on dire que ce soient des actions d’un saint ? J’avoue qu’il n’y a rien là qui ne soit conforme aux préceptes de la politique, et aux inventions de la prudence ; mais on ne me prouvera jamais que les lois exactes de l’équité et de la morale sévère d’un bon serviteur de Dieu puissent approuver cette conduite. Notez que David ne prétendait pas que le fils de Saül régnât par usurpation : il convenait que c’était un comme de bien [3], et par conséquent un roi légitime.

II. Je fais le même jugement de la ruse dont David usa pendant la révolte d’Absalom. Il ne voulut point que Cuscaï, l’un de ses meilleurs amis, le suivit ; il lui ordonna de se jeter dans le parti d’Absalom, afin de donner de mauvais conseils à ce fils rebelle, et d’être en état de faire savoir à David tous les desseins du nouveau roi [4]. Cette ruse est sans doute très-louable, à juger des choses selon la prudence humaine, et selon la politique des souverains. Elle sauva David, et depuis ce siècle-là jusqu’au nôtre inclusivement elle a produit une infinité d’aventures utiles aux uns et pernicieuses aux autres ; mais un casuiste rigide ne prendra jamais cette ruse pour une action digne d’un prophète, d’un saint, d’un homme de bien. Un homme de bien, en tant que tel, aimera mieux perdre une couronne que d’être cause de la damnation de son ami : or, c’est damner notre ami en tant qu’en nous est, que de le pousser à faire un crime ; et c’est un crime que de feindre que l’on embrasse avec chaleur le parti d’un homme ; que de le feindre, dis-je, afin de perdre cet homme en lui donnant de mauvais conseils, et en révélant tous les secrets de son cabinet. Peut-on voir une fourberie plus déloyale que celle de Cuscaï ? Dès qu’il aperçoit Absalom, il s’écrie : Vive le roi ! vive le roi ! et lorsqu’il voit qu’on lui demande d’où vient son ingratitude de ne pas suivre son intime ami, il se donne des airs dévots, il allègue des raisons de conscience : Je serai à celui que l’Éternel a choisi [5].

IV. Lorsque David, à cause de sa vieillesse, ne pouvait être échauffé par tous les habits dont on le couvrait, on s’avisa de lui chercher une jeune fille qui le gouvernât et qui couchât avec lui. Il souffrit qu’on lui amenât pour cet usage la plus belle fille que l’on put trouver [6]. Peut-on dire que ce soit l’action d’un homme bien chaste ? Un homme rempli des idées de la pureté, et parfaitement résolu de faire ce que l’ordre, ce que la belle morale demandent de lui, consentira-t-il jamais à ces remèdes ? Peut-on y consentir que lorsqu’on préfère les instincts de la nature et les intérêts de la chair à ceux de l’esprit de Dieu ?

V. Il y a long-temps que l’on blâme David d’avoir commis une injustice criante contre Méphiboseth, le fils de son intime ami Jonathan. Le fait est que David, ne craignant plus rien de la faction du roi Saül, fut bien aise de se montrer libéral envers tous ceux qui pourraient être restés de cette famille. Il apprit qu’il restait un pauvre boiteux nommé Méphibozeth, fils de Jonathan. Il le fit venir et le gratifia de toutes les terres qui avaient appartenu au roi Saül, et donna ordre à Siba, ancien serviteur de cette maison de faire valoir ces terres à son profit, et pour l’entretien du fils de Méphiboseth ; car quant à Méphiboseth, il devait avoir toute sa vie une place à la table du roi Da-

  1. IIe. livre de Samuel, chap. III, vs. 1.
  2. Là même, chap. III.
  3. Là même, chap. IV, vs. 35.
  4. Là même, chap. XV.
  5. IIe. livre de Samuel, chap. XVI, vs. 18.
  6. Ier. livre des Rois, chap. I.