Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
413
DAVID. (variantes)

vid [1]. Lorque ce prince se sauvait de Jérusalem, pour n’y tomber pas entre les mains d’Absalon, il rencontra Siba qui lui apportait quelques rafraîchissemens, et qui lui dit en trois mots que Méphiboseth se tenait à Jérusalem dans l’espérance que parmi ces révolutions il recouvrerait le royaume. Sur cela, David donna à cet homme tous les biens de Méphiboseth [2]. Après la mort d’Absalom, il apprit que Siba avait été un faux délateur, et néanmoins il ne lui ôta que la moitié de ce qu’il lui avait donné ; il ne restitua à Méphiboseth que la moitié de son bien. Il y a des auteurs qui prétendent que cette injustice, qui était d’autant plus grande que David avait les dernières obligations à Jonathan, fut cause que Dieu permit que Jéroboam divisât en deux le royaume d’Israël [3]. Mais il est sûr que les péchés de Salomon furent cause que Dieu permit cette division [4]. Tous les interprètes n’ont pas renoncé à l’apologie de David. Il y en a qui prétendent que l’accusation de Siba n’était point injuste, ou que pour le moins elle était fondée sur tant de probabilités, qu’on pouvait y ajouter foi sans faire un jugement téméraire [5]. Mais il n’y a guère de gens qui soient de cette opinion. La plupart des Pères et des modernes croient que Siba fut un calomniateur, et que David se laissa surprendre. Remarquez bien la pensée du pape Grégoire : il avoue que Méphiboseth fut calomnié, et néanmoins il prétend que la sentence qui le dépouilla de tous ses biens était juste. Il le prétend pour deux raisons : 1o. parce que David la prononça ; 2o. parce qu’un secret jugement de Dieu y intervint. Non me latet, præter interpretes in contrarium supra adductos, S. Gregorium contra Davidem stare, l. 1. dialog. c. 4. Quamvis enim, ait, latam à Davide contra innocentem Jonathæ filium sententiam, quia per Davidem lata est, et occulto Dei judicio pronunciata, justam credi, tamen disertè agnoscit Mephibosethum fuisse innocentem. Ex quo apertè sequitur, sententiam Davidis non fuisse justam. In quo cogimur S. Gregorio non adhærere ; cum compertissima sit Davidis sanctitas ; nec eum posteà sarcisse hujusmodi dispendium aliunde constet [6]. L’auteur que je cite prend une autre route : puisque la sainteté de David, dit-il, nous est très-connue, et qu’il n’a jamais ordonné la réparation du tort qu’il avait fait à Méphiboseth, il faut conclure que la sentence fut juste. C’est établir un très-dangereux principe : on ne pourrait plus examiner sur les idées de la morale les actions des anciens prophètes, pour condamner celles qui n’y seraient point conformes ; et ainsi les libertins pourraient accuser nos casuistes d’approuver certaines actions qui visiblement sont injustes ; de les approuver, dis-je, en faveur de certaines gens, et par acception de personnes. Disons mieux, appliquons aux saints ce qui a été dit des grands esprits, nullum sine veniâ placuit ingenium. Les plus grands saints ont besoin qu’on leur pardonne quelque chose.

VI. Je ne dis rien du reproche qui fut fait à David par Mical, l’une de ses femmes, sur l’équipage où il s’était mis en dansant publiquement. S’il avait découvert sa nudité, son action pourrait passer pour mauvaise, moralement parlant ; mais s’il ne fit autre chose que se rendre méprisable par ses postures, et en soutenant mal la majesté de son caractère, ce fut tout au plus une imprudence, et non pas un crime. Il faut bien considérer en quelle occasion il dansa : ce fut lorsque l’arche fut portée à Jérusalem [7] ; et par conséquent l’excès de sa joie et de ses sauts témoignait son attachement et sa sensibilité pour les choses saintes. Un auteur moderne

  1. IIe. livre de Samuel, chap. IX.
  2. Là même, chap. XVI.
  3. Id gravis peccati injustitiæ erga innoxiun Mephibosethum, damnant Abulensis 2 reg. 16, q. 6, etc. 10, q. 29, et Richelius, ac Cajetanus ibi : nec non Salianus anno mundi 3010, à num. 21, et alii plerique anteriores, ut Lyranus, Hugo, Rabanus, aliique : quibus ob hanc injustitiam in Mephibosethum, nexa cum infidelitate magnâ et ingratitudine in Jonathan ejus patrem, visum est scissum esse sub Roboano, Davidis regnum. Et ita videtur asseri apud Hieronymum in tradit. Hebr. ad l. 2 reg. c. 19. Th. Raynaudus, Hoplot., sect. II, serie II, cap. X, pag. m. 231.
  4. Ier. livre des Rois, chap. XI, vs. 11.
  5. Vide Petrum Joannem Olivii, apud Theoph. Raynaud., Hoploth., sect. IV, cap. III, pag. 523 ; et ipsum Raynaud., pag. 232.
  6. Th. Raynaud., pag. 232.
  7. IIe. livre de Samuel, chap. VI.