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DAVID (variantes).

a voulu justifier la nudité de Francois d’Assise par celle de David : Michol, femme de David, dit-il [1], ayant vu d’une fenêtre son mari qui, transporté d’une sainte ferveur, sautait et dansait devant l’arche du Seigneur, le méprisa en son cœur, et... luy dit en raillant : Qu’elle est grande la gloire que s’est acquise aujourd’hui le roi d’Israël, quand il s’est découvert en présence des servantes de ses sujets, et qu’il s’est dépouillé nu comme un débauché ! Ces dernières paroles du texte sacré semblent faire voir que David se dépouilla tout nu : néanmoins comme le même texte (v. 14.), parlant de la danse de David devant l’arche, dit qu’il était vêtu d’un éphode de lin, je ne pense pas qu’il se dépouilla tout nu. Mais il se dépouilla assez pour qu’il parût comme nu ; et que cela fut jugé indigne de la gravité et de la majesté d’un roi : d’autant plus que la chose se faisait publiquement et devant un grand monde. L’action de David, accompagnée de toutes ces circonstances, n’est pas plus favorable que celle de saint François, qui eut très-peu de spectateurs [2] : de sorte que si l’action de l’un mérite la censure, celle de l’autre ne peut pas en être exempte ; aussi lisons-nous que Michol s’en moqua. Mais voyons si le Saint-Esprit s’en est moqué, et nous jugerons par là si l’on doit se moquer de l’action de saint François. Il rapporte après cela ce que David répondit à Michol, et ce que l’Écriture remarque touchant la stérilité de cette femme. Il y aurait bien des dames qui mériteraient d’être stériles, s’il ne fallait pour cela qu’avoir le goût de Michol. On trouverait fort étrange par toute l’Europe, si un jour de procession du Saint Sacrement les rois dansaient dans les rues n’ayant qu’une petite ceinture sur le corps.

VII. Les conquêtes de David seront le sujet de ma dernière observation. Il y a des casuistes rigides qui ne croient pas qu’un prince chrétien puisse légitimement s’engager à une guerre par la seule envie de s’agrandir. Ces casuistes n’approuvent que les guerres défensives, ou en général celles qui ne tendent qu’à faire restituer à chacun le bien qui lui appartient. Sur le pied de cette maxime, David aurait souvent entrepris des guerres injustes ; car outre que l’Écriture sainte nous le représente assez souvent comme l’agresseur, il se trouve qu’il étendit, les bornes de son empire depuis l’Égypte jusqu’à l’Euphrate [3]. faut donc mieux dire, pour ne pas condamner David, que les conquêtes peuvent être quelquefois permises, et qu’ainsi l’on doit prendre garde si, en déclamant contre les princes modernes, on ne frappe pas ce grand prophète sans y penser.

Mais si, généralement parlant, les conquêtes de ce saint monarque lui ont été glorieuses, sans préjudicier à sa justice, on a de la peine à convenir de cette proposition, quand on descend dans le détail. Ne fouillons point par nos conjectures dans les secrets que l’histoire ne nous a point révélés : ne concluons pas que, puisque David voulut profiter de la trahison d’Abner, et de celle de Cuscaï, il n’y a guère de ruses qu’il n’ait mises en usage contre les rois infidèles qu’il subjugua. Arrêtons-nous uniquement à ce que l’Histoire sainte nous dit de la manière dont il traitait les vaincus. Il emmena aussi le peuple qui était dans Rabba [4], et le mit sur des scies et sur des herses de fer, et sur des cognées de fer, et les fit passer par un fourneau où l’on cuit les briques. Ainsi en fit-il en toutes les villes des enfans de Hammon [5]. La Bible de Genève observe à la marge de ce verset que c’étaient des espèces de supplices à mort dont on usait anciennement. Voyons comme il traita les Moabites : Il les mesura au cordeau, les faisant coucher par terre, et en mesura deux cordeaux pour les faire mourir, et un plein cordeau pour les

  1. Fernand, Réponse à l’Apologie pour la réformation, pag. 364, 365.
  2. François d’Assise étant mené par son père à l’évêque, afin qu’il renonçât entre ses mains à tous les biens paternels, et qu’il rendît tout ce qu’il avait, rendit à son père ses habits mêmes, et se dépouilla tout nu en présence des assistans. L’évêque se leva de son siège, et le couvrit de son manteau. Bonaventure, Vie de saint François, citée par Ferrand, Réponse à l’Apologie pour la réformation, pag. 363, 364.
  3. L’abbé de Choisi, Histoire de la Vie de David, pag. 64.
  4. C’était la principale ville des Hammonites.
  5. IIe. livre de Samuel, chap. XII, vs. 31.