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DAVID (variantes).

laisser en vie [1] ; c’est-à-dire, qu’il voulut précisément en faire mourir les deux tiers, ni plus ni moins [2]. L’Idumée reçut un plus rude traitement : il y fit tuer tous les mâles ; Joab y demeura six mois avec tout Israël, jusqu’à tant qu’il eût exterminé tous les mâles d’Edom [3]. Peut-on nier que cette manière de faire la guerre ne soit blâmable ? Les Turcs et les Tartares n’ont-ils pas un peu plus d’humanité ? Et si une infinité de petits livrets crient tous les jours contre des exécutions militaires de notre temps, dures à la vérité et fort blâmables, mais douces en comparaison de celles de David, que ne diraient pas aujourd’hui les auteurs de ces petits livres, s’ils avaient à reprocher les scies, les herses, les fourneaux de David, et la tuerie générale de tous les mâles grands et petits ?

(I) Il n’y a pas jusqu’à ses dernières paroles où l’on ne trouve les obliquités de la politique. ] Prenez bien mon sens : je ne veux pas dire que David en cet état ne parlait point selon ses pensées : mais que la manière franche et nette dont il ouvrit son cœur témoigne qu’auparavant il avait sacrifié en deux rencontres remarquables la justice à l’utilité. Il avait clairement connu que Joab méritait la mort, et que l’impunité des assassinats dont cet homme avait les mains teintes, était une injure criante faite aux lois et à la raison. Joab néanmoins avait conservé ses charges, son crédit, son autorité. Il était brave, il servait fidèlement et utilement le roi son maître ; on pouvait craindre de fâcheux mécontentemens si l’on entreprenait de le châtier. Voilà des raisons de politique qui firent céder les lois à l’utilité. Mais lorsque David n’eut plus besoin de ce général, il donna ordre qu’on le fît mourir ; ce fut un des articles de son testament [4]. Son successeur Salomon fut chargé d’une semblable exécution contre Séméi. Cet homme, sachant que David se sauvait de Jérusalem en grand désordre, à cause de la révolte d’Absalom, le vint insulter au beau milieu du chemin, et lui fit des reproches encore plus durs que les pierres qu’il lui jetait [5]. David souffrit cette injure fort patiemment : il y reconnut et y adora la main de Dieu avec des marques d’une piété singulière ; et lorsque ses affaires furent rétablies, il pardonna à Séméi, qui fut des premiers à se soumettre et à implorer sa clémence [6]. David lui jura qu’il ne le ferait point mourir, et il lui tint sa parole jusqu’au lit de mort ; mais se voyant en cet état, il chargea son fils de faire mourir cet homme [7] ; preuve évidente qu’il ne l’avait laissé vivre que pour s’attirer d’abord la gloire d’un prince clément, et puis afin d’éviter que personne ne lui reprochât en face d’avoir manqué de parole. Je voudrais bien savoir si, dans la rigueur des termes, un homme qui promet la vie à son ennemi s’acquitte de sa promesse lorsque par son testament il ordonne de le tuer.

De tout ce que je viens de dire dans les remarques précédentes et dans celle-ci, on peut aisément inférer que si les peuples de la Syrie avaient été d’aussi grands faiseurs de libelles que le sont aujourd’hui les Européens, ils auraient étrangement défiguré la gloire de David. De quels noms et de quels titres infâmes n’eussent-ils pas accablé cette troupe d’aventuriers qui le fut joindre après qu’il se fut retiré de la cour de Saül ? L’Écriture nous apprend que tous ceux qui se voyaient persécutés par leurs créanciers, tous les mécontens, et tous ceux qui étaient très-mal dans leurs affaires, coururent vers lui, et qu’il se rendit leur chef [8]. Il n’y a rien qui puisse être plus malignement empoisonné qu’une telle chose. Les historiens de Catilina et ceux de César fourniraient là bien des couleurs à un peintre satirique. L’histoire a conservé un petit échantillon des médisances auxquelles David était exposé parmi les amis de Saül. Cet échantillon témoigne qu’ils l’accusaient d’être homme de sang, et qu’ils

  1. Là même, chap. VIII, vs. 2.
  2. Voyez la note de la Bible de Genève.
  3. Ier. livre des Rois, chap. XI, vs. 15.
  4. Ier. livre des Rois, chap. II, vs. 6.
  5. IIe. livre de Samuel, chap. XVI, vs. 5 et suiv.
  6. Là même, chap. XIX, vs. 19 et suiv.
  7. 1er. livre des Rois, chap. II, vs. 9.
  8. Convenerunt ad eum omnes qui erant in angustiâ constituti, et oppressi ære alieno, et amaro animo, et factus est eorum princeps. 1o. lib. Samuel., cap. XXII, vs. 2.