Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
DAVID. (variantes)

regardaient la révolte d’Absalom comme la juste punition des maux qu’ils disaient que David avait faits à Saül et à toute sa famille. Je mets en note les paroles de l’Écriture [1] ; et voici celles de Josèphe [2] : Δαϐίδῃ δὲ γενομένῳ κατὰ χώραμον οὕτω καλούμενον τόπον ἐπέρχεται τοῦ Σαούλου συγγενὴς ὄνομα Σεμεει...... καὶ λίθοις τε ἔϐαλεν αὐτὸν καὶ ἐκακηγόρει. ϕίλων καὶ σκεπόντων ἔτι μᾶλλον βλασϕημῶν διετέλει, μιαιϕόνον καὶ πολλῶν ἁρχηγὸν κακῶν ἀποκαλῶν. ἐκέλευε δὲ καὶ τῆς γῆς, ὡς ἐναγῆ καὶ ἐπάρατον ἐξεῖναι, καὶ τῷ Θεῷ χάριν ἔχειν ὡμολογεῖ τῆς βασιλείας αὐτὸν ἀϕελομένῳ, καὶ διὰ παιδὸς ἰδίου τὴν ὑπὲρ ὧν ἤμαρτεν εἰς αὐτοῦ δεσπότην δίκην αὐτῷ εὶσπραξαμένῳ. Davidi verò juxta locum Bachoram supervenit cognatus Sauli nomine Semeis...... saxis eum simul et convitiis impetens. Cumque armici eum protegerent, magis etiam exasperatus ad convitia sanguinarium et multorum malorum causam appellabat, jubens ut impurus ac execrabilis regione excederet, gratiasque agebat Deo quod per proprium filium pœnam peccatorum ab illo exigeret, et eorum que olim in dominum suum commiserat. Ils outraient les choses : il est vrai que, selon le témoignage de Dieu même, David était un homme de sang ; et c’est pour cela que Dieu ne lui voulut pas permettre de bâtir le temple [3]. Il est vrai encore que, pour apaiser les Gabaonites, il leur livra deux fils et cinq petits-fils de Saül, qui furent crucifiés tous sept [4]. Mais il est faux qu’il ait jamais attenté ni à la vie ni à la couronne de Saül.

Ceux qui trouveront étrange que je dise mon sentiment sur quelques actions de David, comparées avec la morale naturelle, sont priés de considérer trois choses : 1o. qu’ils sont eux-mêmes obligés de confesser que la conduite de ce prince envers Urie est un des plus grands crimes qu’on puisse commettre. Il n’y a donc entre eux et moi qu’une différence du plus au moins ; car je reconnais avec eux que les fautes de ce prophète n’empêchent pas qu’il n’ait été rempli de piété, et d’un grand zèle pour la gloire de l’Éternel. Il a été sujet à l’alternative des passions et de la grâce. C’est une fatalité attachée à notre nature depuis le péché d’Adam. La grâce de Dieu le conduisait très-souvent ; mais en diverses rencontres les passions prirent le dessus : la politique imposa silence à la religion ; 2o. qu’il est très-permis à de petits particuliers comme moi de juger des faits contenus dans l’Écriture, lorsqu’ils ne sont pas expressément qualifiés par le Saint-Esprit. Si l’Écriture, en rapportant une action, la blâme ou la loue, il n’est plus permis à personne d’appeler de ce jugement ; chacun doit régler son approbation ou son blâme sur le modèle de l’Écriture. Je n’ai point contrevenu à ce devoir : les faits sur lesquels j’ai avancé mon petit avis sont rapportés dans l’Histoire sainte, sans l’attache du Saint-Esprit, sans aucun caractère d’approbation [5] ; 3o. qu’on ferait un très-grand tort aux lois éternelles, et par conséquent à la vraie religion, si l’on donnait lieu aux profanes de nous objecter que dès qu’un homme a eu part aux inspirations de Dieu, nous regardons sa conduite comme la règle des mœurs ; de sorte que nous n’oserions condamner les actions du monde les plus opposées aux notions de l’équité, quand c’est lui qui les a commises. Il n’y a point de milieu : ou ces actions ne valent rien, ou les actions semblables à celles-là ne sont pas mauvaises ; or, puisqu’il faut choisir l’une ou l’autre de ces deux choses, ne vaut-il pas mieux ménager les intérêts de la morale que la gloire d’un particulier ? Autrement ne témoignerait-on pas que l’on aime mieux commettre l’honneur de Dieu que celui d’un homme mortel ?

  1. Les paroles de Séméi, selon l’Écriture, sont celles-ci : Sors, sors, homme de sang, et méchant garnement : l’Éternel a fait retourner sur toi tout le sang de la maison de Saül, au lieu duquel tu as régné, et l’Éternel a mis le royaume entre les mains de ton fils Absalom. Et te voilà en ton propre mal, parce que tu es un homme de sang. IIe. livre de Samuel, chap. XVI.
  2. Antiq., lib. VII. cap. VIII, pag. 230.
  3. Ier. livre des Chroniques, chap. XXII, vs. 8, et chap. XXVIII, vs. 3.
  4. IIe livre de Samuel, chap. XXI.
  5. J’ai pris garde que l’Écriture nous apprend que David consulta et suivit les ordres de Dieu, quand il s’agit de repousser les agresseurs, Ier. livre de Samuel, chap. XXIII et XXX ; mais qu’il ne consulta point Dieu, quand il voulut ruiner Nabal, ni quand il allait exterminer les voisins d’Akis, et faisait accroire qu’il ravageait les états de Saül. C’est un signe que Dieu n’approuvait point ces sortes d’actions.