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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/429

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DAURAT.

(E) ; ce qui, avec l’étoile ou la fatalité de sa profession, pourrait bien être la cause de la pauvreté où il se trouva réduit (F) ; et qui lui a donné place dans la liste des savans qui sont presque morts de faim [* 1] [a]. Charles IX l’avait pourtant honoré de la qualité de son poëte [* 2], et s’était fort plu à s’entretenir avec lui (G). Ce ne fut pas sous son règne, mais sous celui de Henri II [b], que Daurat fut précepteur des pages [* 3] du roi pendant un an (H). Je ne sais pas si les chagrins qui l’obligèrent à quitter ce poste vinrent, ou tous, ou en partie, de la pétulance de cette jeunesse. Vu le siècle où il vivait, nous lui devons pardonner le goût qu’il eut pour les anagrammes, dont il fut le premier restaurateur [c] [* 4] : on prétend qu’il en trouva la tablature dans Lycophron. Il les mit tellement en vogue, que chacun s’en voulait mêler. Il passait pour un grand devin en ce genre-là, et plusieurs personnes illustres lui donnèrent leur nom à anagrammatiser. Il se mêlait aussi d’expliquer les centuries de Nostradamus, et cela avec un tel succès (I), au dire de quelques-uns, qu’il semblait être revêtu du caractère de son trucheman ou sous-prophète. Ce ne sont point là les beaux endroits de sa vie [* 5]. Il vaut encore mieux le voir se remarier dans son extrême vieillesse [* 6] avec une fille de dix-neuf ans (K), et l’entendre dire pour ses raisons, que c’était une licence poétique [d] ; et qu’ayant à mourir d’un coup d’épée, il avait trouvé plus à propos de faire l’exécution par une épée bien luisante que par une épée rouillée [e]. Ce nouveau mariage fructifia, et le rendit père d’un fils auquel on le voyait faire mille caresses folâtres [f]. Si M. de Thou et son traducteur avaient considéré ceci, ils auraient sans doute mieux pesé leurs expressions pour l’honneur de la jeune mariée (L). Daurat avait eu de sa première femme, entre autres enfans, un fils dont on a imprimé des vers français [g], et une fille qu’il maria à un savant nommé Nicolas Goulu [h], en faveur

  1. * Cela est sans raison, dit Leclerc.
  2. * Ce fut en 1567, dit Leclerc.
  3. * Voyez la note ajoutée sur la remarque (H).
  4. * Joly donne, d’après Leclerc, les noms des prédécesseurs de Daurat pour la restauration de l’anagramme, et il renvoie au chapitre des Bigarrures du sieur Desaccords (Tabourot), intitulé : Des Anagrammes.
  5. (*) Les mémoires de l’état de France, etc., tom. I, au feuillet 278 tourné, après avoir parlé du massacre de l’amiral de Châtillon, et de la manière dont le corps de ce seigneur fut accoutré par la populace : Jean Dorat, poëte, écrivit des vers latins où il se moque de l’amiral, blasonnant un chacun des membres de ce corps mutilé. Je doute que cet endroit de la vie de Daurat soit plus beau que d’autres qu’on lui a reprochés. Rem. crit.
  6. * Bayle croyait Daurat né en 1507, et se trompait de dix ans, comme le prouve Leclerc, dans une note sur la remarque (R).
  1. Voyez Maturiu Simonius, de Literis pereuntibus, apud Barthium in Stat., pag. 447.
  2. Environ l’an 1554. Voyez M de Thou, liv. XIII, vers la fin, pag. m. 278. Voy. aussi l’article Lorraine. Remarque (N), t. IX.
  3. Papyr. Masso, Elog. Jo. Aurat. ; Claudius Verderius, Cens. in Auctor, pag. 45 ; Dinet, Vie de Ronsard.
  4. Sammarth., in ejus Elogio.
  5. Papyr. Masso, in Elog. Jo. Aurati. Je rapporte ses paroles dans la remarque (G).
  6. Id., ibid.
  7. Ils sont dans le recueil des vers du père, et si l’on en croit le titre, ils ont été faits par l’auteur à l’âge de dix ans. Ménage, Remarque sur la Vie d’Ayrault, pag. 187. La fille aussi fut savante, comme nous le dirons sous le mot Goulu (Nicolas), tome VII.
  8. Sammarth.. in ejus Elogio. La Croix du Maine, pag. 201.