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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/454

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DÉJOTARUS.

gion. ] L’abominable Clodius ayant trouvé un homme dans la Phrygie prêt à donner une bonne somme d’argent, à condition qu’on l’investît du pontificat de Pessinunte, lui en expédia les provisions. Cet homme était marié à une fille de Déjotarus, et s’appelait Brogitarus. On le mit en possession du temple, et l’on en chassa les prêtres. Mais Déjotarus, plein de zèle pour le culte de Cybèle, chassa cet usurpateur, qui profanait toutes ces saintes cérémonies. Voyez un peu comment l’éloquence de Cicéron se déploya sur cette aventure. Sed quid ego id admiror ? il s’adresse à Clodius [1], qui acceptâ pecuniâ Pessinuntem ipsam, sedem, domiciliumque Matris Deorum vastaris, et Brogitaro [2] gallo-græco impuro homini ac nefario totum illum locum fanumque vendideris : sacerdotem ab ipsis aris pulvinaribusque detraxeris : omnia illa quæ vetustas, quæ Persæ, que Syri, quæ reges omnes, qui Europam Asiamque tenuerunt, semper summâ religione coluerunt, perverteris ? quæ denique nostri majores, etc. Quod quùm Dejotarus religione suâ castissimè tueretur, quem unum habemus in orbe terrarum fidelissimum huic imperio atque amantissimum nostri nominis, Brogitaro, ut antè dixi, addictum pecuniâ tradidisti....... Quùm multa regia sunt in Dejotaro, tum illa maximè, quòd tibi nullum munus dedit : quòd eam partem legis tuæ, quæ congruebat cum judicio senatûs, ut ipse rex esset, non repudiavit : quòd Pessinuntem per scelus à te violatum, et sacerdote sacrisque spoliatum recuperavit, ut in pristinâ religione servaret : quòd ceremonias ab omni vetustate acceptas, à Brogitaro pollui non sinit, mavultque generum suum munere tuo, quàm illud fanum antiquitate religionis carere.

(I) Déjotarus était entêté de superstition pour les augures autant qu’homme du monde. ] Il n’entreprenait rien sans consulter le vol des oiseaux, et il se conduisait tellement par cette sorte d’auspices, qu’il discontinua ses voyages, et s’en retourna chez lui, ayant déjà fait plusieurs journées. Il n’avait point d’autres raisons d’en user ainsi que les présages qu’il découvrait en chemin. Le vol d’un aigle fut une fois cause qu’il interrompit son voyage, et bien lui en prit ; car, s’il l’eût continué, il aurait été écrasé sous les ruines de la chambre qui lui était destinée. Elle tomba la nuit suivante. Comme il était fort habile sur ces matières, il était lui-même son prophète et son devin. Il n’avait pas oublié de se pourvoir de la qualité la plus nécessaire dans la profession : c’est de ne demeurer jamais court, de n’avouer jamais qu’on se soit trompé, et d’avoir toujours quelque subterfuge dans la manche. Il en trouva un qui était rempli de moralité, lorsqu’il eut perdu la plupart de ses états, et une grosse somme d’argent pour avoir porté les armes contre César. Il mena ses troupes à Pompée : la marche fut longue, et il n’eut jamais dans sa marche que de bons présages ; aussi s’était-il flatté que César serait battu. Les choses prirent toute une autre face ; César triompha, et fit sentir son ressentiment à Déjotarus d’une manière très-incommode. Que fit Déjotarus ? Eut-il assez de bonne foi pour reconnaître que sa science était trompeuse ? témoigna-t-il quelque regret, quelque repentir de sa trop grande crédulité ? Point du tout : il se retrancha dans les plus belles maximes de la morale ; il dit que les augures qui l’avaient poussé à continuer son voyage au camp de Pompée, étaient réellement de bons augures, puisque sous leur direction il avait suivi le parti de la justice. Il est vrai qu’il lui en coûtait la plupart de ses états ; mais, disait-il, la gloire d’avoir rempli mes devoirs m’est plus précieuse que tous les biens de la terre. De peur qu’on ne me soupçonne de sophistiquer ce passage de Cicéron, je le mets tout entier en note [3]. Re-

  1. Cicero, Orat. de Haruspicum responsis, cap. XIII.
  2. Joignez à ceci cet endroit de l’oraison pour Sextius, cap. XXVI. Lege tribunitiâ matris magnæ Pessinuntius ille sacerdos expulsus, et spoliatus sacerdotio est ; fanumque sanctissimarum, atque antiquissimarum religionum venditum pecuniâ grandi Brogitaro, impuro homini, atque indigno illâ religione, præsertim cùm ea sibi ille non colendi, sed violandi caussa appetivisset.
  3. Quid ego hospitem nostrum clarissimum atque optimum virum Dejotarum commemorem, qui nihil unquàm nisi auspicato gerit ? qui quùm ex itinere quodam proposito, et constituto re-