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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/497

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DES-BARREAUX.

tuellement prêtes, elle n’eût retenu de lui celui de croire en Dieu dans la maladie. On lui représente ce que la miséricorde de Dieu avait fait souvent pour lui. Ne fut-ce pas cette miséricorde, lui dit-on [1], qui, pour vous retirer des égaremens où vous étiez, vous envoya la dernière maladie que vous eûtes : où, touché de la grandeur de vos péchés, vous fîtes ce sonnet qui vous a acquis autant de gloire qu’il vous causera un jour de confusion, d’avoir été assez habile pour si bien penser, et assez malheureux pour si mal vivre ?..... Laissons pour un moment le chrétien, et ne parlons que de l’honnête homme. Dites-moi, je vous prie, si un homme qui aurait dit à un autre ce que vous dites à Dieu, et qui lui manquerait aussi indignement de parole que vous lui en manquez, serait honnête homme ?..... Qu’allez-vous faire, avec la mort qui marche à deux pas de vous, aujourd’hui aux capucins, et demain aux minimes, qu’y chercher ce que vous devriez fuir, et, si je l’ose dire, insulter Dieu où les autres le vont adorer [2] ? On lui envoie la fable du Faucon malade : on lui soutient que s’il y a quelque chose au monde de plus extravagant que de ne pas croire en Dieu, c’est d’avoir la faiblesse de l’invoquer sans y croire : Et comme il n’est pas plus Dieu quand nous nous portons mal que quand nous nous portions bien, il n’y a ni plus ni moins de raison à le croire dans un temps que dans un autre [3]. On suppose que ce fut la réponse de la mère du faucon ; et l’on déclare qu’on ne sait qu’Esope capable d’inspirer une réponse aussi judicieuse que celle-là : enfin on exhorte très-vivement M. Des-Barreaux à ne point lasser la miséricorde de Dieu. Notez que la fable du Faucon, ou pour mieux dire, celle du Milan, paraît en ces termes dans la nouvelle édition de Phèdre :

Multos cùm menses ægrotâsset milvius,
Nec jam videret esse vitæ spem suæ,
Matrem rogabat, sancta circumiret loca,
Et pro salute vota faceret maxima.
Faciam, inquit, fili ; sed opem ne non impetrem
Vehementer vereor ; sed qui delubra omnia
Vastando, cuncta polluisti altaria
Sacrificiis nullis parcens, nunc quid vis rogem [4] ?


Je n’ai point trouvé cette fable parmi celles qui sont attribuées immédiatement à Ésope, dans l’édition de Nevelet, mais je l’ai trouvée parmi celles qu’un anonyme a mises en vers latins [5], et qu’il a données comme originaires d’Ésope. Je n’y ai vu aucune trace de la pensée que M. Boursault débite, et qu’il croit que le seul Ésope est capable d’inspirer. Cela soit dit en passant.

Il a raison de dire que ce serait la dernière extravagance d’adresser des prières à une divinité qu’on ne croirait point ; mais je ne sais si Des-Barreaux a jamais fait cette folie. Saint Paul semble supposer qu’une telle extravagance ne se trouve point parmi les hommes : Comment invoqueront-ils, dit-il [6], celui auquel ils n’ont point cru ? Il me paraît assez possible que ceux qui n’ont rien déterminé positivement, ni sur l’existence, ni sur la non-existence de Dieu, lui fassent des vœux et des prières à la vue d’un grand péril. Or c’est l’état de presque tous les incrédules. Ils doutent s’il y a un Dieu ; ils ne connaissent pas clairement son existence : mais aussi ils ne connaissent pas clairement qu’il n’existe point. M. l’évêque de Tournai commence par cette pensée ses réflexions sur la religion. Il est naturel que de telles gens aux approches de la mort prennent le parti le plus sûr, et que ad majorem cautelam, ils se recommandent à la grâce et à la miséricorde divine [7]. Ils espèrent quelque chose de leurs prières en cas qu’il y ait un être qui les entende et qui les puisse exaucer ; ils n’ont rien à craindre en cas qu’il n’y ait point un tel être. Mais si quelqu’un était parvenu à un tel degré de mécréance, qu’il se fût fermement persuadé le pur athéisme, et qu’il demeurât dans cette persuasion pendant qu’il serait malade dangereusement,

  1. Là même, pag. 21.
  2. Lettres nouvelles de M. Boursault, pag. 22, édition de Hollande, 1698.
  3. Là même, pag. 24.
  4. Voyez le Phèdre imprimé à Amsterdam, 1698, à la page 325 du Commentaire de Gudius. Append. Fab. I, in edit. P. Burm.
  5. Elles sont dans la même édition de Nevelet.
  6. Épître de saint Paul aux Romains, ch. X, vers. 14.
  7. Voyez la remarque (E) de l’article de Bion Borysthénite, tom. III, pag. 448.