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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/498

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DES-BARREAUX.

je ne conçois pas qu’il soit possible qu’il invoquât Dieu au fond de son cœur. N’allons donc pas nous imaginer que Des-Barreaux tomba dans l’extravagance qu’on lui impute, d’invoquer Dieu sans croire qu’il y eût un Dieu. Disons plutôt que sa coutume de l’invoquer dans ses maladies est une marque, ou qu’au temps de sa santé il ne doutait point de l’existence de Dieu, c’est ce qu’on assure dans le mémoire qui m’a été communiqué ; ou que tout au plus il mettait cela en problème, mais en problème dont il embrassait l’affirmative quand il craignait de mourir. L’inclination à la volupté lui faisait reprendre son premier train, son premier langage lorsque sa santé était revenue. Cela ne prouve point qu’en effet il fût athée. Cela prouve seulement, ou qu’il rejetait presque tous les dogmes particuliers des religions positives, ou que, par un principe d’orgueil il craignait qu’on ne le raillât d’être déchu de la qualité d’esprit fort, s’il ne continuait pas à parler en libertin. Il est assez apparent que ceux qui affectent dans les compagnies de combattre les vérités les plus communes de la religion, en disent plus qu’ils n’en pensent. La vanité a plus de part à leurs disputes que la conscience. Ils s’imaginent que la singularité et la hardiesse des sentimens qu’ils soutiendront leur procurera la réputation de grands esprits. Les voilà tentés d’étaler contre leur propre persuasion les difficultés à quoi sont sujettes les doctrines de la providence et celles de l’Évangile. Ils se font donc peu à peu une habitude de tenir des discours impies ; et si la vie voluptueuse se joint à leur vanité, ils marchent encore plus vite dans ce chemin. Cette mauvaise habitude contractée d’un côté sous les auspices de l’orgueil, et de l’autre sous les auspices de la sensualité, émousse la pointe des impressions de l’éducation : je veux dire qu’elle assoupit le sentiment des vérités qu’ils ont apprises dans leur enfance touchant la divinité, le paradis et l’enfer ; mais ce n’est pas une foi éteinte ; ce n’est qu’un feu caché sous les cendres. Ils en ressentent l’activité dès qu’ils se consultent, et principalement à la vue de quelque péril. On les voit alors plus tremblans que les autres hommes [1]. Ils passent jusqu’à la superstition : le souvenir d’avoir témoigné plus de mépris qu’ils n’en sentaient pour les choses saintes, et d’avoir tâché de se soustraire intérieurement aussi à ce joug, redouble leur inquiétude. On n’a presque jamais vu qu’un homme grave, éloigné des voluptés et des vanités de la terre, se soit amusé à dogmatiser pour l’impiété dans les compagnies, encore qu’une longue suite de méditations profondes, mais mal conduites, l’ait précipité dans la rejection intérieure de toute la religion. Bien loin qu’un tel homme voulût ôter de l’esprit des jeunes gens les doctrines qui les peuvent préserver de la débauche, bien loin qu’il voulût inspirer ses opinions à ceux qui en pourraient abuser, ou à qui elles pourraient faire perdre les consolations que l’espérance d’une éternité heureuse leur fait sentir dans leurs misères, il les fortifierait là-dessus par un principe de charité et de générosité. Il garde ses sentimens, ou pour lui seul, ou pour des personnes qu’il suppose très-capables de n’en faire pas un mauvais usage. Voilà ce que font les athées de système, ceux que la débauche ni l’esprit hâbleur n’ont point gâtés [2]. Le malheur d’avoir été trop frappés d’un certain principe, et de l’avoir suivi avec trop de gradations de conséquences, les a menés à une certaine persuasion. La grâce de Dieu les en peut tirer à la vue de la mort, mais sans cela ils persistent dans leur indolence au milieu des maladies et des tempêtes, et s’ils se conforment aux cérémonies mortuaires de l’église, c’est pour épargner à leurs parens les suites fâcheuses de la rejection du rituel. Cela porte à croire que les libertins semblables à Des-Barreaux ne sont guère persuadés de ce qu’ils disent. Ils n’ont guère examiné. Ils ont appris quelques objections ; ils en étourdissent le monde ; ils parlent par un principe de fanfaronnerie et ils se démentent dans le péril [3]. M. de Balzac les a

  1. Voyez ci-dessus pag. 95, le passage de Charron, dans la remarque (I) de son article.
  2. Voyez la remarque (C) de l’article Vayer, à la fin, tom. xiv.
  3. Voyez l’article de Bion, Borysthénite, remarque (E), et celui d’Hénault, tom. viii.