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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/509

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DIAGORAS.

negabat [1]. Lisez la suite de son discours, vous y trouverez un solide raisonnement, fondé sur la différence capitale qui se trouvait entre les chrétiens et Diagoras. Celui-ci s’étant moqué des dieux et des mystères des Grecs, n’en substituait pas de meilleurs ; mais les chrétiens substituaient la véritable divinité. Je trouve ici une chose que très-peu d’auteurs profanes ont rapportée ; je parle du traitement qui fut fait à un Hercule par Diagoras : le père Garasse en parle, et y met trop de brodure. Voici ce qu’il dit [2] : J’attends bien que nos beaux esprits prétendus me représentent que Diagoras Milésius [3], qui fut appelé l’Athéiste par excellence, avait un fort bon esprit, et que Sardanapale était un brave prince ; car pour Diagoras qui se moquait publiquement des dieux, et dogmatisait qu’il n’y avait point de divinité au monde, autre que la bonne nature, entrant, à ce qu’on dit, un jour dans une hôtellerie, fit un repart d’esprit, dont toute l’antiquité fit grand état [4], d’autant que n’ayant trouvé autre chose que des lentilles pour son dîner, et le logis dépourvu de bois pour les faire cuire, il s’avisa d’une vieille idole d’Hercule, qui était le dieu tutélaire du logis, et s’adressant à lui, lui va dire, Veni, Hercules, tertium decimum subi certamen et excoque lentem. Il faut, dit-il, qu’aujourd’hui je vous fasse entreprendre un treizième combat, contre des lentilles. Et une autre fois entrant dans la basse-cour où les prêtres prenaient augure du manger des oiseaux, et voyant que tout le sacré collége était grandement effrayé de ce que les poulets ne mangeaient pas, il les prit comme en colère, et les saussant trois ou quatre fois dans une cuve pleine d’eau : Vous boirez, dit-il [5], puisque vous ne mangez plus : et par ces deux rencontres on voudra contester que cet athéiste avait fort bon esprit, et que d’introduire l’athéisme n’est point marque de bêtise. Je confesse que ces deux reparts de gueule sont assez bons pour un faquin ; mais de tirer de ces deux réponses que Diagoras eut l’esprit excellent, c’est cela que je ne puis comprendre, d’autant qu’il y a maintenant mille crocheteurs et savetiers, lesquels ayant l’esprit un peu gai et aucunement échauffé de vin, font des rencontres meilleures que ceux-là, et au partir de là sont des bêtes, tel qu’était Diagoras.

(G) Quelques savans conjecturent que le livre que Tatien lui attribue traitait des mystères de la déesse Cybèle. ] Vossius a cru cela ; car après avoir cité les paroles de Tatien il ajoute [6] : Phrygios sermones fuisse arbitror historiam eorum quæ ad Cybelen sive matrem Phrygiam et ejus sacra pertinerent, atque ab eo esse fine hoc conscriptam ut à sacris illius homines averteret. ll me semble que Tatien a dû alléguer les écrits les plus impies de Diagoras, et par conséquent ceux dont nous voyons le titre dans Hésychius Illustrius et dans Suidas. Ces deux auteurs content que quand il a vu la prospérité de son plagiaire, il publia un ouvrage touchant son renoncement à la religion [7] ; c’est-à-dire, qu’il publia les motifs de la dernière de toutes les apostasies, les motifs selon lui de sa conversion. Cet ouvrage avait pour titre λόγοι ἀποπυργίζοντες. Hadrien Junius veut que cela signifie des discours qui précipitent du haut en bas d’une tour, quasi orationes de turribus præcipitantes dicas.

  1. Athenag., in Legat., pag. m. 36.
  2. Doctrine curieuse, liv. II, section V, pag. 139.
  3. C’est une faute : il fallait dire Mélien.
  4. Je n’ai trouvé parmi les païens qu’un seul auteur qui rapporte cette aventure : c’est le scoliaste d’Aristophane, in Nub., act. III, sc. I. En tout cas, il est faux que l’antiquité ait loué cette action. Saint Épiphane, in Ancorato, pag. m. 106, reproche aux païens de n’avoir pas écouté la leçon de Diagoras ; et sur cela il rapporte assez au long l’action de cet homme contre l’idole d’Hercule. Clément d’Alexandrie la rapporte aussi, Admonit., ad Gentes, p. 15.
  5. J’ignore que ceci ait été dit de Diagoras : c’est de Publius Claudius que Valère Maxime le rapporte, liv. I, chap. IV, num. 3,
  6. De Histor. græc., pag. 437.
  7. Ἐντεῦθεν ὁ Διαγόρας λυπηθεὶς ἔγραψε τοὺς ἀποπυργίζοντας λόγους, ἔκπτωσιν ἔχοντας τῆς περὶ τὸ θεῖον δόξης. Quam ob rem mæstus Diagoras λόγους scripsit ἀποπυργίζοντας que defectionis causam à communi de Diis persuasione continebant. Hesych. Illustrius, in Διαγόρας, ex versione Hadriani Junii. Æmilius Portus, traducteur de Suidas, dit, quæ continent refutationem opinionis de divino numine.