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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/508

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DIAGORAS.

crate, en faisant souvenir le peuple qu’Aristagoras Mélien avait enseigné Socrate ? Je pourrais proposer une autre objection. La comédie des Nuées, où Socrate est appelé Mélien, fut jouée avant la proscription de Diagoras [1] : mais si l’on en croit les scoliastes [2], il y a des choses dans cette comédie qui se rapportent à des faits postérieurs à la proscription ; ainsi je n’insiste point sur cette difficulté. Or, comme ni Diogène Laërce, ni ses commentateurs, n’ont aucune connaissance de cet Aristagoras Mélien, maître de Socrate, il me vient un petit soupçon que le mot Aristagoras s’est fourré dans les scolies d’Aristophane au lieu de Diagoras. Ce qui fortifie ma conjecture est de voir que le scoliaste donne deux caractères à son Aristagoras, qui conviennent à Diagoras [3] : il le fait poëte dithyrambique, et profanateur des mystères. En un autre lieu de ses scolies [4] il est dit que Diagoras est contemporain de Simonide et de Pindare. Selon cette supposition, il aurait pu enseigner Socrate.

(F) Tatien raconte qu’il fut puni pour avoir mis à l’étalage les mystères des Athéniens. ] Voici les paroles de Tatien [5] : Διαγόρας Ἀθηναῖος ἦν, ἀλλὰ τοῦτον ἐξορχησάμενον τὰ παρ᾽ Ἀθηναίοις μυςήρια, τετιμωρήκατε· καὶ τοῖς ϕρυγίοις αὐτοῦ λόγοις ἐντυγχάνοντες ἡμᾶς μεμισήκατε. Diagoras Atheniensis erat, sed quòd mysteria apud Athenienses profanâsset, punitus est : hujus Phrygios libros cùm legatis, nos odistis. Je ne sais si un bon rhétoricien eût voulu raisonner ainsi : Vous avez puni un homme qui avait profané vos mystères ; et quoique vous lisiez ses livres, vous ne laissez pas de nous haïr. Le but de Tatien est de faire voir que la haine des gentils pour les chrétiens était injuste ; et pour le prouver il leur allègue deux choses ; l’une qu’on avait puni le profane Diagoras ; l’autre, qu’on lisait ses livres. Il me semble qu’il n’y avait pas trop d’adresse à rappeler le souvenir de l’ancienne sévérité des Athéniens contre ceux qui s’étaient moqués de la religion des Grecs, comme les chrétiens s’en moquaient. Et puis Tatien ne voyait-il pas qu’il était facile de lui répondre ? Quand on vous aura traités comme on fit Diagoras, on traitera vos livres comme l’on traite les siens : il y aura des curieux qui conserveront les écrits que vous composez contre nos Dieux, n’en soyez pas en peine, souffrez seulement une punition semblable à celle de Diagoras dont vous nous faites ressouvenir. Qu’on me pardonne si je critique quelquefois les défauts de raisonnement. Il est encore plus utile de les montrer aux jeunes lecteurs, que de leur montrer une fausseté de fait. Je reviens à mon texte.

Athénagoras et Suidas nous apprennent ce même étalage des mystères des Athéniens. Je mets en marge les paroles de Suidas [6] : elles témoignent que cet impie ne se contentait pas de faire savoir à tout le monde ce que c’était que ces mystères ; il s’en moquait aussi, et détournait de s’y faire initier ceux qui en avaient envie. Nous avons déjà cité [7] pour ce fait le scoliaste d’Aristophane. Voyons ce que dit Athénagoras. Διαγόρᾳ μὲν γὰρ εἰκότως ἀθεότητα ἐπεκάλουν Ἀθηναῖοι, μὴ μόνον τὸν Ὀρϕικὸν ἐις μέσον κατατιθέντι λόγον, καὶ τὰ ἐν Ἐλευσῖνι καὶ τὰ τῶν Καϐείρων δημεύοντι μυςήρια, καὶ τὸ τοῦ Ἡρακλέους, ἵνα τὰς γογγύλας ἑψοῖ, κατακόπτοντι ξόανον. Ἄντικρυς δὲ ἀποϕαινομένῳ μηδὲ ὅλως εἶναι θεόν : Diagoræ quidem sacrilegam impietatem jure damnabant Athenienses, qui cùm arcanos Orphei sermones vulgo exponebat, tùm Eleusinia et Cabirorum mysteria publicabat : et Herculis statuam, ne ligna rapis coquendis deessent, dissecabat : denique

  1. L’an 1 de la 89e. olympiade, et puis retouchée l’an suivant. Voyez Samuël Petit, Miscell., lib. I, cap. VI.
  2. Samuël Petitus, ibid.
  3. Ἐπειδή τις Ἀριςαγόρας διθυραμϐοποιὸς ἐξωρχήσατο τὰ ἐλευσίνια. Scholiast. Aristoph., ibidem.
  4. Idem, ibid. folio 105.
  5. Tat., Orat. contra Græcos, pag. m. 164.
  6. Τὰ δὲ μυςήρια οὕτως ἠυτέλιζεν, ὡς πολλοὺς ἐκτρέπεινè ἀρετῆς..... τὰ μυςήρια πᾶσι διηγεῖτο, κοινοποιῶν αὐτὰ, καὶ μικρὰ ποιῶν καὶ τοὺς βουλομένους μυεῖσθαι ἀποτρέπων. Mysteria adeò contemnebat ut multos à virtute averteret.... mysteria narrabat omnibus, ea evulgans et extenuans, et illos, qui volebant initiari, avertens. Suidas, in Διαγόρας.
  7. Dans la remarque (D), citation (21).