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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/510

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DIAGORAS.

Æmilius Portus, traducteur de Suidas, explique ce titre comme s’il signifiait, des discours qui renversent les tours et les fortifications, turrium ac munitionum destructrices. Peut-être que l’auteur avait en vue de signifier que son ouvrage était une forteresse munie de très-bonnes tours contre tous les traits des théologiens. Selon l’idée de Junius, cet impie se serait vanté d’avoir renversé du ciel dans les abîmes du néant toutes les divinités ; selon celle d’Æmilius Portus, il se vanterait d’avoir ruiné les remparts dont la religion s’est fortifiée. Peut-être s’adressait-il directement à Cybèle, comme Vossius le prétend ; à Cybèle, dis-je, la mère des dieux, la déesse toute couverte de tours :

........ Qualis Berecyntia mater
Invehitur curru Phrygias turrita per urbes,
Læta Deûm partu, centum complexa nepotes
Omnes cœlicolas, omnes supera alta tenentes [1].


Peut-être s’imaginait-il qu’en ruinant la mère il ruinait toute la famille, sans prendre la peine d’attaquer chaque dieu en particulier. Selon cette conjecture, qui ne me paraît pas trop solide, on concilierait aisément Tatien avec Suidas et Hésychius, touchant le titre de l’ouvrage de Diagoras.

(H) D’autres disent qu’il dicta de très-justes lois... au législateur des Mantinéens. ] Il n’y aura rien dans cette remarque qui ne soit digne d’attention. Élien ayant débité [2] que les lois de Mantinée étaient très-justes, et aussi bonnes que celles des Locriens, celles de Crète, celles de Lacédémone et celles des Athéniens, ajoute que celui qui donna ces lois au peuple de Mantinée était l’athlète Nicodore, très-renommé par ses victoires ; mais qui, s’étant appliqué sur ses vieux jours à dresser des lois, avait rendu à sa patrie un service beaucoup plus utile que ne pouvaient être les proclamations des prix dont il avait été honoré [3], Ὀψε τῆς ἡλικίας, καὶ μετὰ τὴν ἄθλησιν καὶ νομοθέτης αὐτοῖς ἐγένετο, μακρῷ τοῦτο ἄμεινον πολιτευσάμενος τῇ πατρίδι τῶν κηρυγμάτων τῶν ἐν τοῖς ςαδίοις. Ætatis suæ tempore, et exactâ pugilatione legislator eis extitit, longe utiliorem se patriæ in eâ re præstans, quàm quùm publicè victor in studiis proclamaretur [4]. Ce n’est pas le tout : Élien remarque que, selon l’opinion commune, ces lois furent composées par Diagoras, qui les donna toutes dressées à Nicodore son ami. Enfin Élien déclare qu’il aurait beaucoup de choses à dire de Nicodore ; mais qu’il n’en fera rien, parce que les louanges qu’il lui donnerait sembleraient appartenir aussi à Diagoras. Voilà quelque chose de remarquable. Un athée sans détour ni réserve, qui donne des lois à un état aussi justes que celles de Solon, et que celles de Licurgue. D’autre côté, voilà un prêtre qui s’érige en historien, et qui supprime les louanges que Nicodore a très-justement méritées ; qui les supprime, dis-je, parce que la gloire en rejaillirait sur Diagoras. Ce n’est pas que Diagoras ne fût digne de participer à ces éloges, mais il niait la divinité, et par conséquent il ne fallait pas que l’historien fût équitable en son endroit ; il fallait être prévaricateur aux lois de l’histoire, puisque cela dérobait à un athée le bien qui lui était dû. On s’étonnerait moins d’une morale si dépravée, si l’on ne songeait que c’est un prêtre païen qui la débite. Pauvres gens ! vous vous regardez comme nécessaires à Dieu ; vous croyez qu’il a besoin de l’usage politique que vous faites de vos injures et de vos louanges. Vous ne croiriez pas cela, si vous aviez de la foi pour les oracles de Job [5].

Remarquons ici un grand travers du jurisconsulte Baudouin. Il rapporte ce qui concerne le législateur de Mantinée, et y fait cette réflexion, que l’impiété est non-seulement une grande plaie des lois, mais aussi une grande ruine des états ; et qu’il faut plutôt souhaiter qu’il n’y ait ni lois, ni juridiction, ni société, que non pas que la justice soit entre les mains de l’impiété ; et qu’il soutiendra toujours que les lois de Diagoras sont suspectes. Narrat Ælianus, quen-

  1. Virgil., Æn., lib. VI, vs. 785.
  2. Ælian., Var. Hist., lib. II, cap. XXII.
  3. Les villes grecques s’estimaient très-heureuses et très-glorieuses, lorsque ceux qui remportaient les prix des jeux étaient de leurs habitans.
  4. Ælian., Var. Hist, lib. II, cap. XXIII.
  5. Chap. XIII, vs. 7.