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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/512

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DIAGORAS.

salvi pervenerint ? Ita fit, inquit, illi enim nusquàm picti sunt qui naufragium fecerunt, in marique perierunt [1]. Diogène Laërce rapporte beaucoup mieux la chose [2] : il en fait d’abord sentir la pointe ; mais de la manière que Cicéron la raconte, il faut être presque devin pour en comprendre le sens. Ce qui suit a été mieux développé. Diagoras était à bord d’un vaisseau qui essuya une fort rude tempête : pendant le gros temps, on se mit à dire à Diagoras qu’on avait bien mérité ce qu’on souffrait puisqu’on s’était chargé d’un impie comme lui : Regardez, répondit-il, le grand nombre de vaisseaux qui essuient la même tempête que la nôtre ; croyez-vous que je sois aussi dans chacun de ces bâtimens ? Idemque cùm ei naviganti vectores adversâ tempestate timidi et perterriti dicerent, non injuriâ sibi illud accidere qui illum in eandem navem recepissent, ostendit eis in eodem cursu multas alias laborantes, quæsivitque num etiam in iis navibus Diagoram vehi crederent. [3]. Cela doit apprendre aux fidèles et aux orthodoxes, qu’il ne faut point alléguer à toutes sortes d’incrédules les raisons que l’on emprunte du train ordinaire de la providence.

(K) Quelques-uns disent qu’il était redevable de sa liberté à Démocrite. ] On dit que ce philosophe, le voyant au milieu de plusieurs esclaves exposés en vente, l’examina et lui trouva un naturel si heureux qu’il l’acheta dix mille drachmes et en fit non pas son valet, mais son disciple [4].

(L) Pierre Grégoire..... a cru qu’il fut accusé d’avoir volé les poésies d’un autre. ] Rapportons ses paroles [5] : Diagoras Teleclidis filius impius dictus, quòd plagii accusatus à poëtâ quodam, de surrepto Pæane à se conscripto ejurâsset furto se non teneri, atque ille paulò post prolato in lucem Pæane secundâ famâ hominum uteretur ; quamobrem et mœstus Diagoras orationes scripsit ἀποπυργίζοντας, quasi de turribus precipitantes dicas, quæ defectionis causam à communi de Diis persuasione continebant, ut scribit Hesychius Milesius Illustrius. Pierre Grégoire n’a point entendu l’auteur qu’il cite : Diagoras ne fut point l’accusé, mais l’accusateur. Cette fausseté mérite d’être relevée ; car elle est capable d’imposer. Il est vraisemblable qu’un homme innocent qui appelle les dieux à témoins de son innocence, en se purgeant par serment, se dépite d’une terrible manière lorsqu’il voit que son calomniateur triomphe de lui. C’est pourquoi la narration de Pierre Grégoire, étant presqu’aussi vraisemblable que celle d’Hésychius, est très-propre à faire égarer du droit chemin.

(M) Clément d’Alexandrie n’a pas bien connu la doctrine de ce philosophe. ] Il a cru que Diagoras, et quelques autres qui ont passé pour athées, n’ont eu cette mauvaise réputation que parce qu’ils connaissaient plus distinctement la fausseté de la religion païenne ; et il s’étonne que des gens d’une vie aussi réglée que la leur aient été diffamés comme des impies [6]. Ils ne sont point parvenus, dit-il [7], jusques à la connaissance de la vérité : mais ils ont senti l’erreur, et ce sentiment est une bonne semence pour produire la lumière de la vérité. Voilà une doctrine bien différente de l’opinion d’une infinité de gens, qui s’imaginent qu’il

  1. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, c. 37.
  2. Il remarque que, selon quelques-uns, cette réponse est de Diogène, et selon quelques autres, de Diagoras. Θαυμάζοντος τινὸς τὰ ὲν Σαμοθράκῃ ἀναθήματα, ἔϕη, πολλῷ ἂν εἴη πλείω, εἰ καὶ ὁι μὴ σωθέντες ἀνετίθεσαν. Admirante quondam ea quæ in Samothraciâ sunt donnaria : longè, ait, plura essent, si et qui servati non sunt ea dedicassent. Diogen., Laërt., lib. VI, in Diagorâ, num. 59.
  3. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. XXXVII.
  4. Suidas et Hésychius Illustrius, in Διαγόρας.
  5. Syntagm. Juris universi, lib. XXXVI, sub finem, pag. m. 745. Thomasius a relevé cette faute, in Tractatu de Plagio litterario, num. 406.
  6. Clem. Alexand. Admonit. ad Gentes, pag. m. 35.
  7. Εἰ καὶ τὴν ἀλήθειαν αὐτὴν μὴ νενοηκότας, ἀλλὰ τὴν πλάνην γε ὑπωπτευκότας· ὅπερ οὐ σμικρὸν εἰς ἀληθείας ϕρονήσεως ζώπυρον ἀναϕύεται σπέρμα : Etiamsi veritatem ipsam non consideraverint, sed errorem quidem certè suspicati sint ; quod quidem non parvum exoritur semen ad excitandam scintillam intelligentiæ veritatis. Idem, ibid.