Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T07.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
559
HÉLOÏSE.

vant tout le monde, qu’on la combla de biens en peu de temps. Les évêques l’aimèrent comme leur fille, les abbés comme leur sœur, et les gens du monde comme leur mère[a]. Cependant elle était très-mal satisfaite de la providence de Dieu[b], et murmurait beaucoup plus que Job. Elle entretint commerce de lettres avec Abélard (U), et lui demanda des règles pour ses religieuses, et la solution de divers problèmes. Il satisfit à tout cela. Je ne trouve point que l’espérance de le voir élevé à la prélature ait été la cause de l’envie qu’elle avait de ne le pas épouser (X). Lorsqu’il fut mort moine de Clugni, elle demanda son corps à l’abbé, et l’ayant obtenu, elle le fit enterrer au Paraclet, et voulut être enterrée dans le même tombeau[c]. On conte un miracle des plus surprenans arrivé, dit-on, lorsque l’on ouvrit le sépulcre pour mettre le corps d’Héloïse ; c’est qu’Abélard lui tendit les bras pour la recevoir, et qu’il embrassa étroitement (Y). Il y avait néanmoins plus de vingt bonnes années qu’il était mort ; mais ce n’est pas une affaire : on prétend avoir des exemples de pareilles choses (Z). Elle mourut le 19 de mai 1163. Les lettres qu’elle avait écrites à son mari se trouvent dans l’édition des ouvrages d’Abélard. Mais ce que M. Moréri avance n’est pas vrai ; savoir, qu’André Duchêne a fait des remarques sur ces lettres, et sur les réponses d’Abélard. Il n’en a fait que sur la lettre où Abélard fait l’histoire de ses malheurs à un ami. Jean de Meun avait traduit en français les lettres qu’Abélard et Héloïse s’étaient écrites [d]. Il paraît depuis quelque temps un petit livre[e] intitulé : Histoire d’Héloïse et d’Abélard, avec la lettre passionnée qu’elle lui écrivit, traduite du latin. Cette prétendue traduction n’est autre chose qu’un petit nombre d’endroits choisis comme on a voulu dans les lettres de cette femme, auxquels on a donné telle forme qu’on a jugé à propos, en supprimant ce qui n’accommodait pas, et en ajoutant ce que l’on trouvait de plus commode.

Le comte de Bussi Rabutin avait traduit en français quelques lettres d’Abélard et d’Héloïse. On a inséré cette traduction au IIe. volume de ses lettres, publié après sa mort. Je n’ai jamais vu un plus beau latin, dit-il[f], surtout celui de la religieuse, ni plus d’amour et d’esprit qu’elle en a. S’il se fût aussi bien connu en style latin qu’en style français, il n’eût pas donné cet éloge à la latinité d’Héloïse.

  1. Tout ceci est tiré de la lettre d’Abélard, intitulée Historia Calamitatum, à la réserve d’un petit nombre de choses, dont je cite les preuves à part.
  2. Voyez l’article Foulques, rem. (K), tom. VI, pag. 535.
  3. Voyez la rem. (Y) de l’article Abélard, tom. I, pag. 63
  4. Voyez le president Fauchet, au chap. CXXVI des anciens poëtes français.
  5. Imprimé à la Haye, chez Jean Alberts, 1693.
  6. Bussi, lettre XV du IIe. tom., pag. 49, édit. de Hollande, 1697.

(A) Elle avait un oncle maternel nommé Fulbert. ] Je n’ai trouvé que cela de bien certain touchant la généalogie d’Héloïse ; ainsi je n’ai point dit qu’elle appartenait légiti-