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HÉLOÏSE.

mement à l’ancienne maison de Montmorenci. Je l’ai bien lu dans la préface apologétique de François d’Amboise [1] ; mais comme il ne cite rien, et qu’André du Chêne[2] n’en fait aucune mention, je tiens cela pour suspect de fausseté ; et d’autant plus qu’Héloïse reconnaît dans ses lettres que sa famille avait reçu un grand honneur par son mariage avec Abélard, et que celui-ci s’était fort mésallié [3]. Papyre Masson[4] avance qu’Héloïse était fille naturelle d’un certain Jean, chanoine de Paris[* 1]. André du Chêne a raison de ne s’arrêter pas à cela, puisqu’on ne dit pas d’où l’on puise cette circonstance curieuse ; mais il n’a pas raison d’opposer à cet annaliste le Calendrier du Paraclet, où l’on trouve ces paroles : vii Cal. Januar. obiit Hubertus [5] canonicus Dominæ Heloïsæ avunculus ; car qu’y a-t-il de plus facile que de mettre d’accord ensemble Papyre Masson et ce Calendrier ? Une même fille ne peut-elle pas être bâtarde d’un chanoine, et nièce d’un autre chanoine ? Mais, encore un coup, pendant qu’on ne citera personne, on ne méritera point d’être écouté si l’on dit qu’Héloïse était fille naturelle d’un chanoine nommé Jean. Si l’on avait à soupçonner quelque chanoine là-dessus, ce devrait être plutôt Fulbert qu’aucun autre ; car la tendresse qu’Abélard lui donne pour Héloïse est si peu commune parmi les oncles[6], et ressemble si naïvement à l’affection des meilleurs pères, qu’il y aurait lieu de s’imaginer que Fulbert fit comme une infinité d’autres qui ne peuvent pas être pères selon les canons : ils cachent cette qualité sous celle d’oncle, ils élèvent leurs enfans sous le titre de neveux. Voilà ce qu’on pourrait soupçonner ; mais cela ne doit point régler le style, ni empêcher qu’on ne donne aux gens les qualités sous lesquelles le public les a connus. Fulbert, dans un livre, ne doit jamais être qu’oncle. Notez que, selon Papyre Masson, le chanoine qui fit élever Héloïse, et châtrer Pierre Abélard, s’appelait Jean. Cet historien ne prétend donc pas que cette fille ait été nièce d’un chanoine, et fille naturelle d’un autre chanoine. Il prétend que le chanoine que tous les auteurs nomment Fulbert, et qu’ils considèrent comme l’oncle d’Héloïse, était père d’Héloïse, et se nommait Jean[7].

(B) Elle devint......... si habile, que sa réputation vola par tout le royaume. ] Écoutons maître Abélard. Qui (Fulbertus) eam quantò ampliùs diligebat, tantò diligentiùs in omnem quam poterat scientiam litterarum promoveri studuerat. Quæ cùm per faciem non esset infima, per abundantiam litterarum erat suprema. Nam quo bonum hoc, litteratoriæ scilicet scientiæ, in mulieribus est rarius, eò ampliùs puellam commendabat, et in toto regno nominatissimam fecerat[8]. Dans ce siècle-là une jeune fille pouvait passer pour un miracle avec une très-médiocre érudition. C’est à quoi il faut prendre garde, si l’on ne veut pas outrer les idées qu’on se fait de notre Héloïse : et néanmoins il faut tenir pour certain qu’elle mérite une place glorieuse parmi les femmes bien savantes. Elle savait non-seulement la langue latine, mais aussi le grec et l’hébreu ; c’est encore Abélard qui le témoigne dans la lettre qu’il écrivit aux religieuses du Paraclet. Magisterium habetis in matre, quod ad omnia vobis sufficere tam ad exemplum scilicet virtutum, quàm ad doctrinam litterarum potest, quæ non solùm latinæ, verùm etiam tam hebraïcæ quàm græcæ non expers litteraturæ, sola hoc tempore illam trium linguarum adepta peritiam videtur, quæ ab omnibus in beato Hieronymo tan-

  1. * Joly, dans sa note sur la remarque (BB) de l’article Abélard, tom. I, pag. 65, tâche de prouver qu’il est impossible qu’Héloïse fût la fille d’un chanoine, et qu’elle n’en était réellement que la nièce.
  1. Ad Oper. Abælardi.
  2. Nolis ad Histor. Calamitat. Abælardi.
  3. Quantò ampliùs te pro nie humiliando satisfeceras, et me pariter et totum genus meum sublimaveras, tantò te minùs tam apud Deum, quàm apud illos proditores obnoxium pœnæ reddideras. Pag. 57.
  4. Annal., lib. III.
  5. Il faut Fubertus.
  6. Voyez les témoignages cités par Lambin, sur ces paroles de l’ode XII du IIIe. livre d’Horace,

    Metuentes patruœ verbera linguæ.

  7. Joannes Canonicus Parisinus Heloissam naturalem filiam habebat præstanti ingenio formâque. Papyr. Masso, Annal., lib. III, pag. m. 256.
  8. Abæl. Oper., pag. 10.