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MANICHÉENS.

thèse d’un seul principe. Quand les Manichéens nous allèguent que, puisqu’on voit dans le monde plusieurs choses qui sont contraires les unes aux autres, le froid et le chaud, le blanc et le noir, la lumière et les ténèbres, il y a nécessairement deux premiers principes[1] ; ils font pitié. L’opposition qui se trouve entre ces êtres, fortifiée tant qu’on voudra par ce qu’on appelle variations, désordres, irrégularités de la nature, ne saurait faire la moitié d’une objection contre l’unité, la simplicité, et l’immutabilité de Dieu. On donne raison de toutes ces choses, ou par les diverses facultés que Dieu a données aux corps, ou par les lois du mouvement qu’il a établies, ou par le concours des causes occasionelles intelligentes, sur lesquelles il lui a plu de se régler. Cela ne demande pas les quintessences que les rabbins ont imaginées, et qui ont fourni à un évêque d’Italie un argument ad homine, en faveur de l’Incarnation. Di questa unione parla diffusamente l’autore, portando gli esempi e le similitudini, con cui la spiegano i rabbini (alcune delle quale sono le medesime che adoprano i nostri teologi per esplicar l’Incarnazione) e con le stesse loro dottrine prova evidentemente ch’ ella non sia altro che un insefiratione, cioe due nature, sefireità, e divinità insieme in un supposto [2]. Ils disent que Dieu s’est uni avec dix intelligences très-pures nommées Sefira, et qu’il opère avec elles de telle sorte, qu’il faut leur attribuer toutes les variations, et toutes les imperfections des effets. Attribuendosi a Dio ne’ sacri libri atti frà se contrarii ed imperfetti, per salvare l’immutabilità e sua somma perfettione, hanno posta una Gerarchia di dieci intelligenze purissime, per mezo delle quali, come instrumenti della sua potenza, egli opera tutte le cose, ma in modo che à loro sole s’attribuisce ogni varietà, imperfettione, e mutatione[3]. Sans se mettre en tant de frais, on peut sauver la simplicité et l’immutabilité des voies de Dieu : le seul établissement des causes occasionelles y suffit, pourvu que l’on n’ait à expliquer que les phénomènes corporels, et que l’on ne touche point à l’homme. Les cieux et tout le reste de l’univers prêchent la gloire, la puissance, l’unité de Dieu : l’homme seul, ce chef-d’œuvre de son créateur entre les choses visibles ; l’homme seul, dis-je, fournit de trés-grandes objections contre l’unité de Dieu. Voici comment.

L’homme est méchant et malheureux : chacun le connaît par ce qui se passe au dedans de lui, et par le commerce qu’il est obligé d’avoir avec son prochain. Il suffit de vivre cinq ou six ans[4] ; pour être parfaitement convaincu de ces deux articles : ceux qui vivent beaucoup, et qui sont fort engagés dans les affaires, connaissent cela encore plus clairement. Les voyages font des leçons perpétuelles là-dessus ; ils font voir partout les monumens du malheur et de la méchanceté de l’homme ; partout des prisons et des hôpitaux ; partout des gibets et des mendians. Vous voyez ici les débris d’une ville florissante ; ailleurs vous n’en pouvez pas même trouver les ruines[5].

Jam seges est ubi Troja fuit, resecandaque falce
Luxuriat Phrygio sanguine pinguis humus[6].


Lisez ces belles paroles tirées d’une lettre qui fut écrite à Cicéron : Ex Asiâ rediens, cùm ab Æginâ Megaram versùs navigarem, cœpi regiones circumcircà prospicere. Post me erat Ægina, antè Megara, dextrâ Pirœus, sinistrâ Corinthus : quæ oppida quodam tempore florentissima fuerunt, nunc prostrata et diruta antè oculos jacent[7]. Les gens d’étude, sans sortir de leur cabinet, sont ceux qui acquièrent le plus de lumières sur ces deux articles, parce qu’en lisant l’histoire ils font passer en revue tous les siècles, et tous les pays du monde. L’histoire n’est à

  1. Voyez saint Épiphane, quand il parle de Scythianus, pag. 619, advers. Hæres.
  2. Joseph Ciantes, évêque de Marsique, in Discursu de sanctissimâ incarnatione clarissinis Hebræorum doctrinis ab corundem argumentorum oppositionibus defensa, Dans le Journal d’Italie, du 27 d’aout 1668, pag. 102.
  3. Le Journal d’Italie, là même, pag. 101.
  4. À cet âge-là on a fait et on a souffert des tours de malice : on a eu du chagrin et de la douleur ; on a boudé plusieurs fois, etc.
  5. Voyez l’entretien XXX de Balzac.
  6. Ovidius, epist. Penel., ad Ulyss., vs. 53.
  7. Sulpicius ad Ciceron., epist. V, lib. IV, Cicer. ad Famil.