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MANICHÉENS.

dicentis, in Jovis limine duo jacere dolia[1]. On donnera ailleurs[2] un plus grand détail concernant l’hypothèse platonique touchant la source du mal et du bien.

L’apologie de Costar étant assez rare dans les pays étrangers, je ne me fais pas un scrupule d’en citer ce long passage :[3] : « Peut-être que M. de Girac en a cru le roman de la Rose, qui veut que la Fortune soit la Tavernière, qui distribue à pot et à pinte les diverses liqueurs de ces deux tonneaux, selon son caprice et sa fantaisie :

« Jupiter en toute saison
« A sur l’issuë de sa maison,
« Ce dit Homer, deux pleins tonneaux,
« S’il n’est vieulx homs ne garçonneaux,
« Ni n’est dame ni damoiselle,
« Soit vieille, jeune, laide ou belle,
« Qui vie en ce monde reçoive,
« Qui de ces deux tonneaux ne boive.
« C’est une taverne plenière,
« Dort Fortune est la tavernière,
« Et en trait en pots et en coupes
« Pour faire à tout le monde soupes.
« Tous elle en abreuve à ses mains,
« Mais aux uns plus, aux autres moins.
« N’est nul qui chacun jour ne pinte
« De ces tonneaux, ou quarte ou pinte,
« Ou muy, ou septier, ou chopine,
« S’il, comme il plaist à la mechine,
« Ou plene paulme, ou quelque goute,
« Que la Fortune au bec luy boute :
« Et bien et mal à chacun verse,
« Si comme elle est douce et perverse.


Au reste, l’ancienne hérésie des deux principes règne encore dans quelques pays de l’Orient[4] ; et l’on croit qu’elle a été fort commune parmi les anciens barbares de l’Europe. Apud Slavos nondùm quidem Christi fide imbutos, simile dogma receptum fuisse, Helmoldus [* 1] auctor est, qui malum illorum Deum Zeevuboch vocatum scribit. Paria et de aliis Germanorum populis Vossius [* 2] conjicit. Atque hodienum, provinciæ Fetu in Africâ incolas persuasum sibi habere, esse aliquod numen, cui omnia mala, aliud cui bona accepta ferenda. Joh. Guil. Mullerus [* 3], Danicæ in Africâ ecclesiæ quondàm Pastor, testatur[5]. Les Gurdes, nation dans l’Asie, servent deux principes, l’un comme l’auteur du bien, l’autre comme la cause du mal ; mais avec cette différence, qu’ils sont infiniment plus exacts dans le culte du dernier, que dans celui du premier[6].

(D) ... Serait assez difficile à réfuter, soutenu par des philosophes païens aguerris à la dispute. ] Par les raisons à priori ils auraient été bientôt mis en fuite : les raisons à posteriori étaient leur fort ; c’était là qu’ils se pouvaient battre longtemps, et qu’il était difficile de les forcer. On m’entendra mieux par l’exposition que l’on va lire[* 4]. Les idées les plus sûres et les plus claires de l’ordre nous apprennent qu’un être qui existe par lui-même, qui est nécessaire, qui est éternel, doit être unique, infini, tout-puissant, et doué de toutes sortes de perfections. Ainsi, en consultant ces idées, on ne trouve rien de plus absurde que l’hypothèse des deux principes éternels, et indépendans l’un de l’autre, dont l’un n’ait aucune bonté et puisse arrêter les desseins de l’autre. Voilà ce que j’appelle raisons à priori. Elles nous conduisent nécessairement à rejeter cette hypothèse, et à n’admettre qu’un principe de toutes choses. Sil ne fallait que cela pour la bonté d’un système, le procès serait vidé à la confusion de Zoroastre, et de tous ses sectateurs ; mais il n’y a point de système qui, pour être bon, n’ait besoin de ces deux choses, l’une que les idées en soient distinctes, l’autre qu’il puisse donner raison des expériences. Il faut donc voir si les phénomènes de la nature se peuvent commodément expliquer par l’hypo-

  1. (*) Helmold. Chronic. Sclav., cap. 53.
  2. (*) Voss., de Orig. Idololatr., lib. 1, cap. 8, pag. 280.
  3. (*) Guil. Muller. Beschreibung der Africanischen Landschafft, Fetu, pag. 43, 44.
  4. * C’est surtout contre cette remarque (D) que Chaufepié s’étend.
  1. Idem, ibidem.
  2. Dans la remarque (L) de l’article Pauliciens, tom. XI.
  3. Costar, Apologie, pag. 226, 225.
  4. Voyez les paroles du père Thomassin, dans la remarque (D) de l’article Pauliciens, tom. XI.
  5. Tobias Pfannerus, Systema Theol. Genthis, pag. 258.
  6. Venerano come i Manichei due principii, uno del bene, e l’altro del male : con questa differenza che poco pensando al primo, come quello che credono non poter loro far alcun malo, attendono solo al culto del secondo. Giornale de’ Letterati, du 31 mars 1673, pag. 33, dans l’extrait del Viaggio all’ Indie Orientali del. P. F. Vicenzo Maria di Santa Caterina da Siena, procuratore generale de’ Carmelitani Scalzi.